1939.05.27.De Jacques Barnaud.Paris.A Georges F. Doriot.Boston
Copie de lettre
Le PDF est consultable à la fin du texte.Paris, le 27 mai 1939
Mon cher Ami,
J'ai bien reçu votre lettre et la photographie qui l'accompagnait. L'une et l'autre m'ont beaucoup touché.
Je suis très fier de voir que vous avez hissé le drapeau de la Maison Worms sur le "Normandie". Cela manque peut-être un peu de discrétion, mais vous estimez sans doute que la qualité compense largement la quantité.
J'ai été intrigué par l'avant du navire que vous avez placé sur votre cheminée. Comme vous n'en parlez pas dans la description minutieuse que vous voulez bien nous faire de votre bureau, je suppose qu'il s'agit peut être d'un modèle du "Rex", de l'"Europa", ou d'un bateau de France Navigation.
Je pense que vous êtes au courant, aussi bien que nous, des lames de fond qui secouent l'armement français :
1°- Le contrôle des Messageries Maritimes pris par le consortium Fabre-Lazard.
Vous savez peut-être que nous détenions, en commun avec le Crédit foncier d'Algérie et de Tunisie et les Schneider, un paquet fort important d'actions des Messageries maritimes. L'acquisition de ce paquet de titres avait été faite d'accord avec les dirigeants des M.M., et il avait toujours été entendu que nous n'en userions pas contre eux. Il y a un an environ, les dirigeants des M.M. nous ont approchés, nous demandant de racheter ces titres pour les placer dans une clientèle amie, et l'avis de nos associés ayant été d'accepter cette proposition, nous l'avons fait. Nous nous sommes aperçus, il y a quelques mois, que ce paquet était, en réalité, tombé entre les mains des Fabre, et nous sommes convaincus que les dirigeants des M.M. se sont vendus à l'ennemi.
2° - Vous avez vu la lamentable histoire du "Paris", lamentable à tous les points de vue, la position plus lamentable encore de notre ministre et comment M. Olivier a été choisi comme commissaire. Espérons que l'Exposition internationale de New York ne prendra pas feu.
M. Jean Marie a été désigné pour remplacer M. Olivier ; c'est un bon choix.
Mais les requins s'agitent toujours autour des bâtiments de notre flotte et j'ai l'impression que les modifications n'en resteront pas là sur l'impulsion de notre ministre des Finances, favorable, comme vous le savez, à l'aliénation des participations d'État ; il est fortement question de rendre la Transatlantique à l'industrie privée. Un vaste consortium s'organise sans bruit comprenant les Lazard, la Banque de Paris et les Fabre, pour réunir sous l'autorité de ces derniers, les Chargeurs réunis, les Messageries maritimes et la Transatlantique, en une vaste compagnie nationale française. Il y aurait encore de beaux jours pour les fournisseurs.
Vous allez recevoir la visite de M. Lefébure, qui vous remettra cette lettre. C'est un très gentil garçon, avec lequel j'ai travaillé personnellement pendant longtemps pour une affaire de caractère privé à laquelle je m'intéresse, J'ai été ainsi à même de le juger et de l'apprécier. II a de la méthode, du caractère et de l'allant. C'est le principal, car l'acquit s'obtient. Je suis convaincu qu'il vous plaira et qu'il fera de la bonne besogne à Montréal. Mon désir est, en effet, que si Parimontel doit se développer, elle acquière le plus d'indépendance et d'autonomie possible. J'ai, cela va sans dire, la plus grande confiance dans Rosenthal, mais je ne crois pas que nous devions identifier notre action avec la sienne ou notre nom avec le sien.
Gabriel me dit que nous pouvons vraisemblablement compter vous voir cet été. Nous en sommes bien heureux, car une année sans vous voir serait une année à laquelle manquerait quelque chose de très spécial et à quoi nous tenons beaucoup.
Ma femme se joint à moi pour vous adresser à tous deux l'expression de notre très fidèle et affectueux souvenir.
Barnaud
[Rajout manuscrit :] Je suis heureux et nous sommes heureux de vous annoncer à tous deux que si vous êtes encore à Paris fin septembre ou début d'octobre, nous pourrons vous présenter un [4e enfant] Barnaud qui, je l'espère, sera cette fois une fille.