1855.06.00.A l'arbitre rapporteur dans le procès entre H. Worms et Jullien.Original
Document original
Le PDF est consultable à la fin du texte.
Note en réponse aux prétentions de M. Jullien
M. Jullien appuie ses prétentions :
1° - sur la lettre établissant les conditions ;
2° - sur la lettre de M. Worms disant : « revenez, votre intérêt ne sera pas diminué » ;
3° - sur ce qu'il a loyalement rempli sa mission sans que nous ayons le plus léger reproche à lui faire ;
4° - et, comme preuve de la légitimité de ses droits, les offres de transaction qui lui ont été faites.
Nous répondons :
1° - La lettre établissant les conditions ne peut avoir la force d'un traité [signalagmatique] que si M. Jullien en a fidèlement exécuté les clauses, et non seulement M. Jullien a engagé M. Worms en dehors des pouvoirs que lui conférait cette lettre mais il a même refusé d'en exécuter les conditions, fait que M. Jullien niera sans doute, mais dont heureusement ses lettres font foi (voir sa lettre du 15 mars).
Si ces conditions n'étaient pas considérées alors comme obligatoires par M. Jullien, comment pourrait-il aujourd'hui les invoquer contre nous pour excuser sa déplorable gestion et motiver ses prétentions ?
2° - On lui a écrit : « revenez, votre intérêt ne sera pas diminué ».
Mais au lieu d'être un argument contre nous, n'est-ce pas là une preuve de notre bienveillance à l'égard de M. Jullien ; nous étions avec lui en dissentiment. Ne voyant là qu'une dissidence passagère, nous lui disons : « revenez ».
Mais M. Jullien est-il revenu ? Non, et l'incident n'eut pas de suite.
D'ailleurs, connaissions-nous alors la vérité sur sa gestion ? Loin de là. Il nous la cachait avec soin. Nous ne pouvons donc accorder à cette lettre aucune valeur à l'égard des prétentions de M. Jullien.
3° - M. Jullien a loyalement rempli sa mission et nous n'avons pas le plus léger reproche à lui faire.
À cela nous répondrons tout à l'heure par l'exposition de nos griefs.
4° - Nous avons fait des offres, donc nous reconnaissons devoir.
Pas du tout.
Nous avons fait des offres (pas d'argent, entendons-nous bien, dans la situation où M. Jullien avait placé notre affaire, cela ne pouvait pas être) mais d'une indemnité en cas de succès, c'est vrai, mais pourquoi ?
D'abord parce qu'un procès devait nuire à notre affaire, ce qui a eu lieu.
Parce que nous redoutions que M. Jullien n'écrivit en Angleterre dans le but de nuire à une affaire qu'il n'avait pas su conduire, ce qui a eu lieu encore.
Parce que nous désirions éviter les ennuis d'un procès, ce qui est bien naturel.
Enfin, il faut bien le dire, parce que M. Morin espérait personnellement que M. Jullien rendrait le titre de notre patente, qui lui a été remis en sa présence, malheureusement sans reçu par M. Worms, titre qu'au mépris de tout sentiment honnête, M. Jullien conserve entre ses mains en se retranchant dans une dénégation.
Ces motifs n'étaient-ils donc pas suffisants pour motiver notre désir d'en finir par une transaction, et si, à cet égard, tous nos efforts ont été vains, peut-il résulter de ce que des prétentions exagérées ont rendu notre bon vouloir inutile, un droit contre nous ? Nous ne le pensons pas.
Mais à la dernière réunion devant M. l'arbitre rapporteur, M. Jullien a modifié son système. Au lieu de soutenir que ses lettres étaient l'expression de la plus exacte vérité (il s'agissait des machines construites à ce que prétendait M. Jullien par MM. Thomas et de Winton), il a dit : « je me renferme dans la lettre de mon traité ».
Dans le développement de nos griefs, nous allons le suivre sur ce terrain.
C'est grief sont :
1° - de nous avoir induit en erreur sur la fabrication des machines ;
2° - de nous avoir induit en erreur sur la position de nos affaires et notamment sur l'affaire avec M. Millington quand il nous écrivait : « M. Millington accepte toutes les conditions contenues dans votre lettre du 30 avril » tandis que M. Millington n'en acceptait aucune ;
3° - de s'être présenté comme propriétaire de la patente et non comme agent de M. Worms ;
4° - de nous avoir annoncé et d'avoir annoncé à tous les propriétaires de carrière des machines au prix de £ 35 tandis qu' elles en coûtent en réalité £ 75 ;
5° - enfin, d'avoir détruit l'économie des conventions primitives en refusant de les exécuter, d'avoir, contrairement à ces conventions, traité à forfait et par machine à un prix désastreux et cela sans pouvoir ni autorisation, et tout à fait en dehors de la lettre et de l'esprit du traité dans lequel il prétend se renfermer.
Ces griefs, nous les développerons par ordre.
1° - M. Jullien nous a induit en erreur sur la fabrication des machines. En effet il écrivait, à la date du 7 mars : « on vient de démonter la machine pour faire les modèles ».
À la date du 5 mars :
« Les machines n'avancent que péniblement, cependant elles font des progrès sensibles. »
À la date du 22 mars :
« Quant aux machines, je passe presque toutes mes journées à l'établissement de MM. Thomas et de Winton. On s'occupe activement de nous. M. Thomas m'a promis que nous aurions la première machine à court intervalle. Trois semaines. »
À la date 29 mars :
« MM. Thomas et de Winton sont vivement pressés par Lord [Newboroug] ainsi que par moi-même. Elles marcheront maintenant vivement vers leur conclusion. »
À la date du 18 avril :
« Le mécanisme fait des progrès sensibles. M. Millington va se mettre de la partie pour presser MM. Thomas et de Winton. M. Thomas me promet la première machine vers la fin du mois ou les premiers jours de mai. »
À la date du 26 avril :
« Toutes les pièces de fonte sont faites. On est en train de tourner les pièces de tour. Du reste, M. Thomas ne perd pas un instant et pense que la première sera faite dans 10 à 12 jours. Je suis en permanence à la fonderie. »
À la date du 30 avril :
« M. Thomas active fortement les machines. J'ai vu beaucoup d'ouvriers après. »
Voilà ce que M. Jullien écrivait et ce qu'il a d'abord affirmé être l'expression de la plus exacte vérité.
M. Morin au contraire affirmait que rien de tout ce qu'annonçait M. Jullien n'était exacte.
Dans cette position qu'a fait M. l'arbitre rapporteur ? Il s'est adressé aux mécaniciens, MM. Thomas et de Winton. Qu'ont-ils répondu ? Nous avons fondu quinze pièces, pièces fondues sans modèle, pièces surmontées, sans la moindre valeur. Soit, nous les acceptons pour bonnes ! On a donc fait quinze pièces.
Combien faut-il pour les six machines ? Cent-cinquante. On avait donc fondu la dixième partie des pièces de fonte.
Mais le travail de la fonte n'est pas le dixième du travail d'une machine de précision. Par conséquent le travail était selon MM. Thomas, de Winton et Jullien commencé d'un centième ; un cinquantième, si l'on veut, nous l'accorderons d'autant plus facilement que sur cette dernière base le brevet serait arrivé à son terme avant que les six machines ne fussent faites.
Il n'y avait pas moyen pour M. Jullien de se défendre sur un pareil terrain. Aussi, au lieu de se renfermer comme à la première séance, dans cette affirmation : « il n'y a pas dans toutes mes lettres un seul mot qui ne soit l'expression de la plus exacte vérité », il a changé de langage et s'est ainsi posé : « je ne suis pas ingénieur. Je n'étais pas à Carnarvon pour faire construire des machines. J'y étais pour vendre des licences. Je me renferme dans mon traité ».
Nous répondons à M. Jullien :
« Vous n'êtes pas ingénieur ! Mais est-il donc besoin d'être ingénieur pour faire construire des machines pareilles à une machine modèle ? Vous n'étiez pas à Carnarvon pour faire construire des machines. Pourquoi y étiez-vous donc ? Pour vendre des licences ! Mais cela est absurde puisque vous vous étiez interdit le droit d'en vendre jusqu'après la livraison des machines que vous aviez commandées.
Cependant vous y étiez pour quelque chose. Convenez donc que vous y étiez pour la construction des machines puisque vous ne pouviez y être pour autre chose.
Et d'ailleurs si telle n'eut pas été votre mission, qui donc l'eut remplie ? Ce n'était pas M. Morin qui avait laissé la direction de l'affaire à MM. Worms et Rosseeuw. Ce n'était pas MM. Worms et Rosseeuw puisqu'ils ne pouvaient quitter Paris.
Convenez donc que vous étiez à Carnarvon pour y faire construire les machines, que cette mission, vous ne l'avez pas remplie et qu'enfin pour masquer votre inhabileté et surtout votre négligence, vous avez eu recours à un système organisé dont vous n'avez pas prévu le danger.
2° - J'arrive à notre deuxième grief, de nous avoir induit en erreur sur la position de nos affaires.
Sur cette question, nous laisserons parler les écrits.
Voici la lettre de M. Jullien à la date du 18 avril.
Voici notre lettre du 30 mai.
Voici le traité Millington que M. Jullien nous engageait à lui retourner après l'avoir signé.
Nous livrons ces trois documents à l'appréciation de M. l'arbitre rapporteur.
3° - Passons à notre troisième grief.
M. Jullien s'est présenté comme propriétaire de la patente.
On a dit : M. Morin a traité avec M. Worms parce qu'il avait besoin d'argent. Alors il aurait dû en recevoir. Or il n'a pas reçu un centime. Ce n'était donc pas là un motif sur lequel on cherchait à donner le change.
M. Morin qui, par hasard, si vous voulez, n'avait pas alors besoin d'argent et n'en demanda pas ; M. Morin avait besoin d'autre chose qui lui manquait, il l'avoue humblement, d'un nom haut placé dans les affaires, ce nom il l'avait trouvé, c'était celui de M. Worms qu'il n'hésita pas à changer contre un intérêt important dans l'affaire.
Que fait M. Jullien ? Il reprend le nom de M. Worms, se présente comme le propriétaire de la patente !
En agissant ainsi, M. Jullien a-t-il eu la prétention de se renfermer dans la lettre de son traité ?
4° - Quatrième grief.
De nous avoir annoncé et d'avoir annoncé à tous les propriétaires de carrières des machines au prix de £ 35 tandis qu' elles en valaient en réalité £ 75.
Ce grief n'a malheureusement pas besoin de démonstration. M. Jullien s'était imaginé, s'était laissé persuader, peu importe, que les machines ne devaient coûter que £ 35, pour commencer, et ensuite beaucoup meilleur marché (voir sa lettre du 15 mars).
De ce qui ne pouvait être qu'une opinion, il en fait un fait qu'il proclame et crée ainsi à l'affaire un obstacle qu'il devient impuissant à lever.
Car nous le demanderons à M. Jullien lui-même, était-il possible qu'après avoir annoncé des machines à £ 35, il les vendit £ 75 ?
Non, M. Jullien, ne l'aurait pas fait ; il n'aurait pas pu le faire.
Il s'était rendu impossible.
5° - Nous voici arrivés à notre cinquième et dernier grief.
D'avoir détruit l'économie des conventions primitives en refusant ou ce qui est maintenant la même chose et pour me servir de l'expression de M. Jullien, se récusant de les exécuter.
D'avoir, contrairement à ces conventions, traité à forfait et à un prix désastreux (à tant par machine) et cela, sans pouvoir ni autorisation et tout à fait en dehors de la lettre et de l'esprit d'un traité dans lequel il prétend se renfermer.
Nous disons que M. Jullien s'est refusé à exécuter les conventions primitives et, en effet M. Jullien nous avait déclaré à Paris qu'il déclinait la mission de vendre des licences, avant d'avoir fait monter les machines de Carnarvon chez M. Millington, et cela est si vrai qu'il a soin de nous dire dans la lettre du 15 mars : « vous devez vous rappeler que je me suis récusé d'obtenir des traités avant d'avoir satisfait à des essais », et plus loin, « je dois vous le répéter quant à demander avant des essais à nos frais, la passation d'un traité quelconque, je sais que je ne le puis. » Tout cela relativement aux machines qui devaient être construites à Carnarvon. Et dans quelles circonstances M. Jullien écrivait-il cela ? C'est en réponse à une lettre du 13 mars qui disait à M. Jullien : « voyez à recevoir une proposition pour [Lamberis] (M. Millington) en ne prenant pas l'engagement de monter des machines à nos frais et risques » et qu'il répondait le 15 mars 1854 : « vous ou j'ai pris l'engagement de monter sur les carrières au moins quatre machines à nos frais. »
Et, c'est après avoir tenu un pareil langage que M. Jullien vient dire : « je n'avais pas à m'occuper de machines. J'étais à Carnarvon pour placer des licences. Je me renferme dans mon traité. »
Mauvaise raison pour mauvaise raison, M. Jullien eut encore mieux fait de conserver son premier système tout faux qu'il était.
Mais M. Jullien ne devait pas s'arrêter là ; après avoir pris l'engagement de livrer des machines, qui n'existaient que dans sa correspondance, il motivait ainsi cet engagement : « il fallait utiliser les machines » (lettre du 15 mars) sans songer alors qu'il viendrait plus tard prétendre qu'il n'avait pas à s'occuper de machines, il allait bien plus loin.
En effet, sans pouvoir, sans autorisation après avoir reconnu lui-même que la mesure était grave, qu'il ne voulait pas la prendre sous sa responsabilité, par un de ses caprices brusques, qui sont dans son caractère, sans attendre notre réponse qui lui serait parvenue le lendemain (négative bien entendue et il le prévoyait), M. Jullien entre de sa propre autorité, sans que le traité dans lequel il prétend aujourd'hui se renfermer lui en donne le moindre droit, dans une voie nouvelle. Il fixe un prix à tant par machine que nous aurons à faire confectionner et à livrer nous-mêmes, nous faisant ainsi de par sa volonté, construire des machines en Angleterre et cela, à un prix désastreux, qui, avec les frais d'installation, ne laissait aucun bénéfice et entraînait M. Worms à des débours considérables.
Et tout cela était fait sans qu'il eut réussi à faire construire une seule machine, sans connaître le prix qu'elles devaient coûter, ne nous laissant d'autre alternative que de le désavouer pour abus de pouvoir ou tenir des engagements qui nous constituaient en perte. Entre ces deux partis, nous avons préféré le dernier, livrer six machines à perte et retirer notre confiance à M. Jullien, qui, pour avoir vécu à nos frais pendant un an, fait perdre de l'argent et compromis notre affaire, nous demande la bagatelle de 100 000 francs, sans réfléchir que, de notre côté, nous sommes parfaitement en droit de lui demander compte de ce qu'il a fait en dehors des pouvoirs qui lui avaient été donnés, déclarant faire toutes réserves à cet égard.