1850.03.28-29.A Edouard Rosseeuw.Londres.Extrait

Origine : Copie de lettres à la presse n°11 - du 1er mars 1850 au 5 avril 1850 - pages 116-113

Notes pour l'affaire des plâtres

Monsieur Rosseeuw à Londres

Dans un quartier de Londres, du nom de Pimlico, Monsieur Cruzel a fait construire quelques travaux en plâtre. Ceci dans le but de donner un caractère sérieux d'abord aux efforts qu'il avait tentés pour prouver à Messieurs les Anglais tous les avantages de cette matière et, en second lieu, pour laisser un objet constant de séduction et de preuve aux hommes du métier intéressés dans la question.
Les travaux une fois terminés, la propriété tant prônée de cette matière parfaitement reconnue et acquise, M. Cruzel, pour compléter son oeuvre, pour atteindre le résultat qu'il s'était promis, pour lequel il avait dépensé beaucoup d'argent, sacrifié beaucoup de temps, M. Cruzel, dis-je, est allé trouver des entrepreneurs du bâtiment de Londres à l'effet de faire adopter, par un ou plusieurs, l'emploi du plâtre.
Quel a été le fruit de ses démarches et instances ? Sur ce point je n'ai eu que des nouvelles indirectes, et les quelques paroles échappées de la bouche de M. Cruzel pendant les courtes conversations entre nous, ne m'ont appris que ceci :
Comme il était fort difficile d'obtenir de suite pleine victoire et que, quels que fussent les avantages de cette nouvelle idée, elle devait inévitablement payer son tribut autant à la force des habitudes qu'au mouvement de Révolution qu'elle allait provoquer dans le Métier, M. Cruzel éprouva d'énormes difficultés pour prouver même une chose vérifiée et prouvée par le spécimen qui venait d'être terminé. Non seulement il irrita les entrepreneurs ou tous autres en rapport avec cette question, mais bien encore il essaya les moyens intermédiaires et d'influence ; les architectes ne lui furent pas indifférents et au milieu de ses efforts d'intelligence et de persévérance, tout ce qu'il put obtenir c'est de se mettre en relations avec MM. Piper Frères (c'est la première ou une des premières Maisons de Londres dans la partie). Quelle est la base de ces relations ? Je l'ignore. Ce que je crois cependant, c'est que MM. Piper Frères ne sont que les intermédiaires, c'est-à-dire qu'ils vendent à un prix de [...] pour le compte de M. Cruzel, les plâtres que ce dernier leur adresse, le tout à la charge par eux de compter à M. Cruzel une certaine somme comme provision sur chaque tonne expédiée et de prendre leur commission enfin de tant par tonne pour frais, soins et achèvement de la vente.
De plus, M. Cruzel eut des pourparlers sérieux avec MM. [...] et Braney, mais cette fois, c'était pour un marché de quantités livrables par année, marché ferme et à un prix déterminé sans autres tribulations que [...] de l'expédition directement faite ; quel a été le résultat de cette nouvelle tentative ? Nul, je crois. Ces Messieurs Mulk.... et Braney [ou Brassey] avaient à cette époque l'intention d'entreprendre à Londres la construction de plusieurs bâtiments, quelque chose comme tout un quartier, quelque chose comme le passage Jouffroy ou autres de cette importance à Paris. Ils laissèrent les résolutions à l'état de projet.
M. Cruzel rentra alors à Paris dans cette position, c'est-à-dire en ayant un engagement avec Piper Frères et laissant ses impressions sur cette nouvelle idée en travail. Depuis son arrivée il dut aviser au moyen de se procurer du plâtre, ne pouvant expédier le mien sur lequel il avait probablement basé toutes ses espérances.
Des expéditions ont été faites : 150 tonnes environ. Mais, et pendant que ces expéditions suivaient leur cours, [...] soit que MM. Piper viennent en France, à Paris, dans quel but ? Probablement dans le but de prendre quelques renseignements sur les hommes et les choses. Voilà déjà une preuve que l'idée faisait inquiéter et travaillait les esprits à Londres. Bien mieux encore, une Maison du nom de White, émue de ce qui se passait et voulant prendre sa part dans cette nouvelle industrie, envoya M. White lui-même pour suivre MM. Piper Frères et pour cueillir aussi des indications précises sur la question.
Toutes ces personnes sont venues chez M. Cruzel et ce dernier, surpris par la malencontreuse et subite arrivée de ses visiteurs, a trouvé un moyen de satisfaction en les conduisant à mon insu dans mon établissement où il a fait voir mes matières et mes moyens de production en s'appropriant sans nul doute les avantages de la position.
Ces Messieurs sont rentrés à Londres, et sans savoir les nouvelles combinaisons que ce voyage a pu faire naître, je crois pouvoir vous affirmer que M. White, se plaçant vis-à-vis des Piper et Cruzel [...] résolu de donner à cette idée et concurremment avec eux, le concours et l'appui de ses relations a trouvé une part dans les dispositions, antérieurement prises, et dont je vous ai déjà parlé, à savoir les conventions exclusives et réciproques. Entre les [...]
Ainsi donc, la chose travaille et tendra d'autant plus à travailler du moment où quelques constructions auront été essayées à l'aide du plâtre par les Anglais eux-mêmes. Mais ceci est l'affaire des hommes du métier des entrepreneurs, ils sont plus intéressés ; à eux donc ce qui reste à faire.
D'après ce qui précède, d'après ce que je sais touchant cette affaire, je crois que notre rôle n'est pas de courir après le développement de cette industrie, mais bien de savoir où elle en est ; ses dispositions, et les chances de réussite qu'elle peut faire entrevoir. Pour cela il serait bien et indispensable que vous alliez voir tous les entrepreneurs les plus importants, les hommes qui s'occupent de construction. Auprès d'eux vous aurez des renseignements sur ce qui s'est fait, mais il faudrait visiter même Piper & White, et, après leur avoir fait connaître en quelle qualité vous allez à eux, tâcher d'apprendre par leur bouche le fin mot de l'énigme. Il est certain que ces Messieurs s'ouvriront à vous, avec d'autant plus de raison, qu'ils espéreront, en causant des plâtres, trouver des nouvelles instructions pour eux. Du reste, avec ce que je vous écris touchant les relations de ces Messieurs, vous pourrez leur montrer que vous êtes au courant de ce qui se passe.
Il serait bon de savoir si les 150 tonnes, expédiées il y a un mois, ont été ou non employées. Si elles ont été employées, ceci deviendrait intéressant et prouverait que les relations ne sont pas éloignées ; si elles n'ont pas été employées, cela prouverait que la question n'a pas encore bien mûri. Je crois que, en cette circonstance, M. Goudchaux vous aidera beaucoup, car pendant son séjour à Londres, M. Cruzel a dû sans nul doute, l'initier dans les projets. Je crois, de plus, qu'il a été de quelque intervention dans les 150 tonnes expédiées.
Des renseignements donc, voilà ce qu'il me faut pour le moment, quand votre passage à Londres n'aurait que ce but et celui d'apprendre aux entrepreneurs que je suis à même de bien leur livrer et même surtout de leur livrer des qualités supérieures à celles qui ont été fabriquées jusqu'à ce jour, ce ne serait pas infructueux.
[...]

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