1933.09.27.Du Courrier maritime.Article.Lancement du "Président Théodore Tissier"
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Le lancement du "Président Théodore Tissier"
On a lancé samedi, dernier, aux Chantiers de la Seine-Maritime, situés dans la grande banlieue rouennaise et en un des coins les plus riants de la verte Normandie, le nouveau navire de recherches océanographiques "Président Théodore Tissier", destiné à l’office scientifique et technique des pêches maritimes, dont le conseil d'administration est, on le sait, présidé depuis sa création en 1910, par l’éminent vice-président du conseil d’État, ancien sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil, ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, vice-président du conseil international pour l’exploration de la mer, grand-croix de la Légion d’honneur ; ce parrainage, souhaité par tous les membres du conseil d’administration de l’office, constituant un hommage particulier rendu à l’activité et au dévouement dont ne cesse, dans ses fonctions délicates, de faire preuve M. Théodore Tissier.
Le train spécial amenant les invités de la Compagnie Worms et de l’Office des pèches quitta Paris à 9heures et, après avoir quitté la grande ligne à Barentin, amena les voyageurs au sein même des Chantiers de la Seine-Maritime, à midi,... malheureusement sous une pluie battante qui dura pendant tout le déjeuner et même pendant la cérémonie du lancement pour se calmer, hélas trop tard, puisque nous venions de regagner les splendides Pullmans mis à notre disposition par la Compagnie de l’État qui avait d’ailleurs là un représentant particulièrement (mots manquants) en la personne de M. Étienne Hauterre.
Le voyage tant à l’aller qu’au retour fut parfait, on serait surpris du contraire, puisque la rapidité du trajet était encore abrégée par l’agrément que l’on avait de circuler et de rencontrer tout le long des wagons, figures amies et toutes souriantes de cette journée de détente...
Le déjeuner fut, lui aussi, parfait, ainsi qu'il est de règle au Trait, et quelles que puissent être les difficultés de ce véritable tour de force culinaire (mais n’avons-nous pas vu, en 1929, le sympathique commandant Denis, secrétaire, général de la Compagnie Worms et M. Nitot, directeur des chantiers, accomplir tâche plus difficile encore puisqu'il s'agissait alors, à l’occasion de la réception de la commission d’études de l’association des grands ports, de 300 couverts et non plus de 150).
Parmi les événements tout particulièrement heureux de la journée, citons la présence de M. Eugène Frot, qui a su si rapidement, gagner les sympathies des milieux maritimes, par son activité et par son clair entendement, des délicats problèmes qui se posent à l’heure actuelle, celle de Mme Eugène Frot, la gracieuse et aimable marraine du nouveau navire, ainsi que celle d'un grand ami de la France, M. Henry G. Maurice, secrétaire d’État aux pêcheries d’Angleterre et d’Irlande, président du conseil international pour l’exploration de la mer, qui ne manque décidément jamais une occasion de traverser le "canal" pour se trouver au milieu de ses amis français, toujours heureux de le saluer et de le fêter. On peut dire que depuis 1923, époque à laquelle M. Maurice vint assister à toutes les fêtes de la Semaine du poisson de Boulogne, il fut présent à toutes les grandes manifestations intéressant la pêche maritime (congrès des pêches de Dieppe 1929, congrès international de Paris 1931, et, je ne parle pas des deux sessions du conseil international qui eurent lieu en France en 1926 et en 1933), et je crois que ce serait une véritable désillusion pour beaucoup d'entre nous que de ne pas voir sa haute et élégante silhouette, ses yeux clairs et malicieux et de ne pas entendre sa voix chaude et cordiale, à laquelle un léger accent donne un charme, particulier, tandis qu’avec une éloquence que beaucoup pourraient lui envier, il dit et très joliment et très humoristiquement tout ce qu’il a envie de dire. En tout cas on peut affirmer qu’il est grand dommage que M. Maurice, au lieu que d’être un des "grands commis" les plus appréciés de l’administration anglaise ne soit pas homme d’État et chargé à ce titre de discuter avec nos diplomates, car il n’est pas douteux que l’entente cordiale ne tarderait pas à être "plus cordiale" encore.
Le succès qu’il recueillit, tout au long de son discours et le tonnerre d'applaudissements qui en salua la péroraison montrèrent bien d’ailleurs la communauté de sentiments existant entre l’orateur et ses auditeurs.
En ce qui louche les discours, puisque nous avons abordé ce point, disons qu'ils furent tous d’excellente qualité. Le discours de M. Worms, fort complet et parfois émouvant constitua un appel d’autant plus pressant que l’on se trouvait au Trait où, ainsi que le fit si judicieusement et si éloquemment remarquer M. André Marie qui parlait au nom des parlementaires du département, chacun est à même de voir ce que peut réaliser de bon et de bien un chef d’industrie conscient du rôle qu’il a à remplir non seulement dans le domaine technique mais du point de vue humanitaire et moral. Le discours de M. Théodore Tissier fut non seulement un hommage à ses collaborateurs et à ses amis mais également un remerciement ému à tous ceux qui avaient tenu à lui accorder un honneur fort rarement décerné à une personnalité encore vivante. Quant à M. Eugène Frot, il tint ses auditeurs sous le charme d’une parole facile et agréable n’excluant pas, et c’est ce qui le rend si sympathique, une connaissance exacte et une idée fort juste des problèmes posés, ce qui lui permit de dire avec toute sa conviction et tout son cœur qu’il tiendrait à honneur de faire, tout ce qui serait en son pouvoir pour que la crise actuelle n'atteigne pas durement les ouvriers de la belle et charmante ruche du Trait.
Quant au lancement, nos lecteurs n’attendent pas, je pense, que je leur en décrive toutes les péripéties, il fut — bien que... fort mouillé (mots manquants) nous recevaient, et à l’heure dite, la bouteille de champagne traditionnelle brisée d’une main forte par Mme Eugène Frot, le "Président Théodore Tissier" prit le départ aux sons de la Marseillaise, en attendant d’aller, emportant nos savants amis de l’office des pêches, accomplir sa belle et utile besogne... Une seule particularité fait bien augurer de la carrière de ce navire : placé sous l’égide de la protection d'un indiscutable "homme de gauche", il tint dès ses premières minutes de navigation, à affirmer nettement son indépendance politique absolue... puisqu’il prit immédiatement et fort catégoriquement... de la gîte à tribord... et cette protestation ne manqua pas de frapper beaucoup d’assistants...
En raison de l’intérêt très grand qu’a présenté le remarquable discours prononcé par M. Hippolyte [sic] Worms, nous avons tenu à en reproduire ici, aujourd’hui même, de larges extraits, et nous lui laissons donc maintenant la parole, non sans lui dire, à lui et à tous ses collaborateurs, l’excellente impression qu’a laissée malgré le mauvais temps, cette belle journée dans l'esprit de tous les assistants.
Henry de Fleurey
[Photo et légende : M. Eugène Frot, ministre de la Marine marchande - voir PDF]