1932.08.27.De J. Froumentin - journal Le Petit Havre.Article.Construction navale
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Nos crises
Marine marchande – constructions navales
Nous avons, dans le numéro du 1er juillet, jeté un cri d'alarme sur la crise de nos constructions navales. Peu auparavant, nous avions parlé de la crise de notre marine marchande. Sans être absolument identiques, les deux crises ont des liens communs, en effet, et ont des répercussions l’une sur l’autre.
Certes, notre marine de commerce subit le contrecoup de la crise générale. Elle supporte les effets des causes permanentes d'infériorité. Elle porte aussi le poids de la politique protectionniste et des barrières douanières internationales. Elle souffre encore de la concurrence de lignes étrangères largement subventionnées par les pouvoirs officiels.
Si, de son côté, l’industrie des constructions navales ne peut marcher à plein — et c’est le cas — il va de soi que notre pavillon trouve dans cette marche au ralenti une difficulté qu’il doit chercher à vaincre pour ne pas céder la place aux pavillons étrangers.
La presse française, dans sa presque unanimité, continue à jeter le cri d’alarme. C’est qu’il y va de l’intérêt national et aussi de l'intérêt des milliers de gens que font vivre et les constructions navales et la marine de commerce.
Tout récemment, une personnalité particulièrement autorisée, M. Georges Philippar, président du Comité des armateurs de France, demandait — dans les colonnes du "Matin" — une intervention énergique pour aider la marine marchande à sortir, au moins partiellement du marasme où elle se débat. Cette aide pourrait venir d'une loi dont M. Georges Philippar exposait ainsi les données :
« Le projet de loi tout en assignant une limite à l'aide de l’État, permettrait de maintenir armés un grand nombre de navires de commerce et de ne pas aggraver le chômage qui touche aujourd'hui quelque 2.000 officiers et plus de 10.000 inscrits maritimes qui se trouvent sans embarquement.
L’aide qu’apporterait le vote de ce projet à l’armement libre consisterait en une allocation compensatrice, calculée par tonneau de jauge brute et par jour d’armement administratif. L’allocation ferait également entrer en ligne de compte la vitesse du navire et l’importance de son équipage. Par ailleurs, pour marquer son caractère temporaire, le projet comporte une formule destinée à faire varier ses effets suivant le degré de la crise maritime et à les supprimer automatiquement dès que le trafic maritime aura rejoint un étiage convenable.
Enfin, cette indemnité ne serait accordée qu’aux navires battant pavillon français et remplissant certaines conditions au point de vue construction et francisation. »
Il n’est malheureusement que trop vrai que l’armement français, qui avait conservé l’illusion de pouvoir vivre sur des bases purement commerciales depuis 1918 et se passer des appuis de l'État, s’est rendu compte qu'il ne le pouvait plus. En réalité, dès 1921, cela était à prévoir quand les signes précurseurs de la crise ont fait leur apparition.
A peu près en même temps que M. Georges Philippar parlait aussi pertinemment de la crise de notre marine marchande, M. André Marie, député de la Seine-Inférieure, dépeignait dans la "Dépêche de Rouen", et non moins éloquemment, la tragique situation de la construction navale française.
Comme nous le disions nous-mêmes le 1er juillet, M. André Marie constate que, de plus en plus, les commandes de constructions ravales vont aux chantiers étrangers.
En dehors des navires de charge, quelques rares armateurs à la pêche ont commandé cette année des chalutiers, mais à part une seule unité qui est venue apporter un aliment modeste aux Chantiers de Normandie, toutes les autres constructions sont passées à l’étranger : Angleterre, et surtout Belgique et Hollande, qui pratiquent actuellement la politique du désespoir et font aux armateurs des prix totalement effondrés.
M. André Marie signale en passant une anomalie qui mérite d’être relevée. Une drague qui coûtera une dizaine de millions doit être prochainement construite pour le port de Dieppe : or, l’Administration, bien que son attention ait été attirée sur le chômage menaçant de centaines d’ouvriers, a refusé d'interroger pour cette affaire des chantiers considérables de notre département et d’une valeur technique incontestée.
Par contre, lorsqu’il s’agit, par exemple, de construire un bac entre Pauillac et Royan, le conseil général de la Gironde exige que seuls les chantiers du département soient consultés. Est-ce trop demander en l’occurrence que de réclamer, pour la drague destinée au port de Dieppe, la consultation des quatre grands chantiers de notre département ?
Cela est un cas particulier qui n’en est pas moins caractéristique.
M. André Marie voit une des causes de la crise des constructions navales dans le fait que le Crédit maritime ne donne pas tout ce que les armateurs étaient en droit d’en espérer, parce que, surtout, les conditions mises à l’octroi de crédits sont trop souvent draconiennes.
II y a aussi une autre raison à la baisse d’activité dans les chantiers navals : c’est la suspension illimitée des commandes relatives au programme naval. Bien des unités dont la construction a été votée par le parlement n’ont pas encore été mises sur cale. Le capitaine de vaisseau Sonborn traitait cette même question ces jours-ci dans "L'Écho de Paris", en se plaçant, il est vrai, à un autre point de vue. Il y a actuellement « en suspens » dix-huit navires dont la construction pourrait alimenter onze sociétés. M. André Marie fait à ce sujet une juste observation :
« Dans notre département, deux des grands chantiers, les Chantiers et Ateliers Augustin-Normand et les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, se trouvent avoir été spécialisés depuis de longues années par la Marine militaire dans la construction des petits sous-marins. La France ayant arrêté provisoirement la construction de ce type de navires, il semblerait équitable à l’égard de ces deux sociétés que la Marine les orientât immédiatement vers une nouvelle spécialisation, celle des escorteurs, par exemple, en les associant si possible d’ores et déjà aux travaux d’études de ses services techniques. »
Il est de toute évidence que la politique navale de la France dépasse le problème de la construction navale privée. Il n’en reste pas moins que l’État a contracté des devoirs envers des chantiers dont il a encouragé ou la création ou l’accroissement de la puissance productive. Qu’il transforme en destination pacifique la destination primitivement militaire de certains chantiers, s’il est contraint d’ajourner pour des raisons d'ordre international ou budgétaire, la construction des navires de guerre. Que tout d’abord il fasse voter le statut de protection nécessaire à la construction navale marchande. Qu’il établisse un plan pour plusieurs années.
Il faut trouver un remède rapidement. Sinon, c’est le licenciement progressif de tout le personnel spécialisé. La question intéresse tout spécialement notre département puisque quatre grands chantiers parmi les plus importants de France y sont installés : chantiers Augustin-Normand, Forges et Chantiers de la Méditerranée au Havre, Chantiers de Normandie à Grand-Quevilly, Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime au Trait.
Six ou sept mille familles vivent de ces chantiers. Va-t-on les priver de leur gagne-pain et augmenter ainsi le chômage ?
Comme M. André Marie, faisons confiance au chef actuel de la Marine marchande, M. Léon Meyer, qui étudie notamment la réforme du Crédit maritime, réforme qui permettrait de redonner un peu d’activité aux chantiers de construction navale.
Cela est urgent.
J. Froumentin