1918.05.00.De Worms et Cie Le Havre.Note (non datée) sur le Barsac
"Barsac"
Les 18 et 19 décembre 1917 est intervenue entre MM. Worms & Cie et le sous-secrétariat des Transports maritimes et de la Marine marchande une convention aux termes de laquelle le s/s "Barsac" à ce moment attendu à Bordeaux, avec une cargaison de charbon relèverait sur lest de Bordeaux pour Brest et prendrait dans ce dernier port un chargement complet de minerai de nickel provenant de la cargaison du voilier "Amiral-Halgan" à destination du Havre.
Aux termes de cet accord, le voyage était effectué sous le régime de la convention du 30 janvier 1917.
Cette convention était celle par laquelle MM. Worms & Cie s'étaient engagés à affecter à des voyages entre Bordeaux et Dunkerque et à des voyages de cabotage entre ports français treize navires, pour lesquels aux termes de l'article 7 de cette convention l'État prenait à sa charge, les risques de guerre pendant la durée du contrat, pour des valeurs déterminées pour chaque navire. La valeur assurée par l'État du "Barsac" était ainsi fixée à 1.800.000 francs.
Il était en outre indiqué dans l'accord des 18 et 19 décembre 1917 que la Compagnie "Le Nickel" pour le compte de laquelle avait lieu ce transport de minerai paierait directement le fret de 23 F la tonne à MM. Worms & Cie et que d'autre part elle rembourserait à l'État la prime correspondant au risque de guerre et pour la valeur fixée dans la Convention.
Le "Barsac" fut torpillé au cours du voyage le 9 janvier 1918.
Entre temps était intervenue à la date du 7 janvier 1918, entre le sous-secrétariat d'État des Transports maritimes et de la Marine marchande et MM. Worms & Cie, une nouvelle convention relative aux voyages à effectuer entre Bordeaux et Dunkerque et les voyagea au cabotage entre ports français.
Aux termes de cette convention nouvelle dix navires étaient affectés à ces voyages, l'État prenait à sa charge les risques de guerre pour les valeurs indiquées à l'article 1er soit pour le "Barsac" une valeur de F 4.223.795,- et il était indiqué à l'article 10, que cette convention annulait et remplaçait la convention du 30 janvier 1917. Enfin, aux ternes de l'article II, cette convention entrait en vigueur le jour même de sa signature, soit le 7 janvier 1918.
Le "Barsac" ayant péri par risque de guerre, MM. Worms & Cie ont demandé le paiement à l'État de la valeur assurée par la convention du 7 janvier 1918 en vigueur au moment du sinistre. L'État s'y est refusé et M. Bouisson donne les raisons de ce refus dans une lettre du 28 mai 1918. En substance, il indique :
1° - Qu'il a été convenu les 16-19 décembre 1917 que le voyage de Brest/Le Havre pour le transport de minerai de nickel serait effectué sous le régime de la convention du 30 janvier 1917. Le voyage était donc accompli en vertu d'accords spéciaux.
2° - Que ce voyage ayant été traité lorsque la convention du 30 janvier 1917 était en vigueur, les modifications apportées ensuite à cette convention ne sauraient atteindre les conditions d'un transport ayant fait l'objet d'un accord spécial et se trouvant en dehors des voyages prévus par la convention qui liait le département de la Marine marchande et MM. Worms & Cie.
3° - La Compagnie "Le Nickel" devait aux termes des accords passés entre l'administration et elle, verser à l'État la prime d'assurance correspondant aux risques de guerre encourus par le "Barsac". Cette prime a été calculée sur une valeur de 1.800.000 F et non sur celle de 4.223.795 F. Il n'est donc pas douteux que toutes les parties en cause étaient d'accord pour la couverture du "Barsac" pendant la durée de ce voyage sur la valeur fixée par la convention du 30 janvier 1917.
Pour apprécier la difficulté qui se pose ainsi entre les parties, il faut tout d'abord se rendre compte de ce qu'elles ont voulu faire et de ce qu'elles ont fait en passant les accords des 18-19 décembre 1917.
Il n'est pas tout à fait exact de dire, comme le fait M. Bouisson dans la lettre du 28 mai 1918, qu'il s'agissait d'un transport en dehors des voyages prévus à la convention qui liait les parties. L'article 8 de la convention du 30 janvier 1917 consacrait le droit pour l'État d'utiliser en totalité ou partie les 13 navires de la Maison Worms pour des opérations de cabotage entre ports français. En fait, trois navires y étaient affectés, le "Pontet-Canet", le "Haut-Brion" et l'"Hypolite-Worms", mais comme l'indique la lettre du sous-secrétaire d'État en date du 8 décembre 1917, le tonnage de ces trois petits vapeurs ainsi affectés au service du cabotage entre ports intermédiaires "conformément à la convention du 30 janvier 1917", ne permettait pas de réaliser à bref délai l'opération de transport de minerai projetée. Et ce qui est envisagé c'est le déroutement d'un navire d'un tonnage plus fort, affecté à un des autres services prévus à la convention. C'est ce qui a été accepté par MM. Worms & Cie à qui, en réalité, il n'était demandé rien qui fût en dehors de la convention.
Il a été précisé dans la correspondance que ce voyage serait effectué sous le régime de la convention du 30 janvier 1917. Il est hors de discussion que s'il n'avait été rien dit, cette convention n'en eut pas moins dû être nécessairement appliquée au cas de perte du "Barsac", si cette perte s'était produite pendant qu'elle était encore en vigueur.
Cette référence à la convention du 30 janvier 1917 ne constitue donc pas des accords spéciaux dans les rapports de l'État et de MM. Worms & Cie, mais bien plutôt la constatation et le rappel du régime qui lie les parties.
Ce régime fixe des valeurs d'assurance pour chaque navire et en particulier pour le "Barsac". Les parties s'y réfèrent parce qu'il est en vigueur.
Mais ces valeurs sont insuffisantes et les parties vont les réviser. Le 7 janvier 1918, intervient la nouvelle convention qui pour les mêmes voyages que ceux prévus à la convention du 30 janvier 1917, y compris le cabotage entre ports français, fixe des valeurs nouvelles. Le "Barsac" est expressément compris dans cette nouvelle convention et la somme pour laquelle l'État sera responsable en cas de sinistre par risque de guerre, y est portée à 4.223.79 F. La convention stipule comme il a été dit ci-dessus, qu'elle annule et remplace, la convention du 30 janvier 1917 et qu'elle entre immédiatement en vigueur. Qu'est-ce que cela veut dire ?
Au sens littéral des mots la convention du 30 janvier 1917, étant ainsi annulée et remplacée, sans aucune, restriction ni réserve, cela veut dire que la convention nouvelle doit régir tous les rapports des parties qui étaient auparavant régis par la convention du 30 janvier 1917, qu'ils aient été prévus par cette convention elle-même ou qu'ils résultent de conventions postérieures qui auraient été soumises au régime de cette convention.
Ce raisonnement de droit prend une force encore plue grande quand on considère, comme il a été fait ci-dessus, ce que les parties ont voulu faire le 18-19 décembre 1917, ou quand on constate que même sans la référence à la convention du 30 janvier 1917, cette convention eut été néanmoins certainement applicable au voyage du "Barsac".
Le "Barsac" compris dans la convention du 30 janvier 1917 était affecté à des voyages prévus par cette convention entre Bordeaux et Dunkerque et assuré par la même convention pour une valeur de 1.800.000 F. Intervient la convention nouvelle du 7 janvier 1918 qui porte la valeur assurée à 4.223.795 F. Si, lorsqu'il a été torpillé, il était resté affecté aux mêmes voyages, c'est cette somme qui eut été due par l'État - Mais on l'a affecté à une opération de cabotage entre ports français. On a stipulé que cette opération serait soumise à cette convention du 30 janvier 1917. C'était inutile, mais supposons pour un instant que ce soit une extension des cas prévus - le "Barsac" se trouve ainsi assuré pour 1.800.000 F. La convention du 30 janvier 1917 est annulée sans réserves, la valeur assurée du "Barsac" est portée à F 4.223.795, et s'il vient à périr, il pourrait être prétendu qu'il a été de la commune intention des parties que les armateurs n'aient droit qu'à 1.800.000 F parce que, au lieu de faire le voyage Bordeaux-Dunkerque, il fait le voyage Brest/Le Havre. C'est inadmissible et cette considération qui touche l'intention commune des contractants, c'est-à-dire la bonne foi, confirme encore ce qui résulte des accords et du texte littéral de la convention du 7 janvier 1918.
Quant à l'objection tirée de ce que la société "Le Nickel" s'étant engagée à rembourser à l'État la prime correspondant au risque de guerre, cette prime a été calculée sur une valeur de 1.800.000 F, elle n'ajoute rien à l'argumentation de l'État et serait plutôt de nature à en accuser la faiblesse. Il était tout naturel que la prime soit décomptée sur une valeur assurée de 1.800.000 F jusqu'au 7 janvier puisque telle était l'importance du risque jusqu'à cette date, mais à partir du 7 janvier, elle devait être décomptée sur la valeur de 4.223.795 F convenue à partir de cette date. L'État en décomptant la prime uniquement sur la valeur de 1.800.000 F dans ses rapports avec la société "Le Nickel" qui n'a aucun intérêt à discuter ce mode de calcul bien au contraire, ne peut se créer ainsi à lui-même un titre au point de vue de l'interprétation de ses conventions avec MM. Worms & Cie, auxquelles la société "Le Nickel" n'a d'ailleurs pas été partie, ce serait en réalité résoudre la question par la question et le procédé est trop simpliste pour qu'il soit possible de voir là une raison de décider.
Le procès contre l'État, à notre avis, offre de sérieuses chances de succès et doit être tenté.
Quant à la compétence, ce serait en principe celle du tribunal civil de la Seine, mais l'État ayant accepté de plaider diverses affaires d'assurances risques de guerre devant la juridiction commerciale à condition qu'elles fussent portées devant le tribunal de commerce de la Seine, j'estime qu'il y aurait lieu de tenter tout d'abord de porter le procès devant cette juridiction plus versée dans les questions d'assurance maritime.
Si l'État, à la différence de ce qu'il a fait jusqu'ici déclinait la compétence, il serait toujours temps d'assigner au civil.