1914.02.11.De Worms et Cie Alger
11 février 1914
MM. Worms & Cie Paris
Messieurs,
Acconage Delmas Frères. Nous venons répondre à votre lettre particulière du 6 courant à laquelle nous n'avons pu répondre hier faute de temps et nous vous remercions pour la copie des lettres que vous avez échangées avec ces Messieurs sous les dates des 5 & 6 courant.
Nous ne sommes pas autrement surpris de la décision qu'ils ont prise : l'importance de leur entreprise s'est accrue considérablement depuis la conclusion de notre contrat avec eux et elle justifie l'acquisition d'un remorqueur, sinon dans un but d'économie, au moins pour la commodité et la satisfaction d'avoir un outil à eux, mais cette satisfaction ne sera pas sans mélange et nous croyons fort que leur remorqueur leur coûtera, dès la première année, aussi cher, et ensuite plus cher, que ce qu'ils nous payaient, sans être à même d'effectuer tout leur travail.
Au cours de 1913, ces Messieurs nous ont payé F 18.957.50 de remorquages dont il nous faut défalquer F 1.446.50 que nous avons payés à des remorqueurs étrangers employés pour leur service : le produit de ce travail n'est donc plus que de F 17.511.
D'autre part, nous avons payé F 4.749.35 d'heures supplémentaires et il ne nous paraît pas exagéré de leur en appliquer au moins pour 3.000 francs, ce qui réduit encore la somme ci-dessus à F 14.511, chiffre qui représente le bénéfice brut de nos opérations pour le compte de l'acconage Delmas Frères.
Ce bénéfice se trouve diminué par un facteur que l'on ne peut évaluer en argent mais qui a bien son importance: c'est la gêne apportée à nos propres opérations par nos obligations envers ces Messieurs, et l'impossibilité où ces obligations nous mettent de soigner l'entretien de nos remorqueurs comme il conviendrait.
Nous comptons bien, lorsque Messieurs Delmas Frères auront leur remorqueur, que les deux nôtres pourront faire un chiffre appréciable de remorquages pour les uns ou pour les autres ce chiffre n'atteindra pas évidemment la somme de F 14.000, mais, n'ayant plus d'obligations, il nous sera possible d'organiser notre travail de manière à ne plus faire que peu d'heures supplémentaires et il en résultera une économie sur la consommation du charbon et des matières d'entretien, de sorte qu'en somme, les remorquages étrangers que nous ferons nous coûterons moins cher qu'actuellement . Nous retrouverons donc une bonne partie de la somme que Messieurs Delmas Frères nous paient actuellement puisque nous encaisserons des remorquages au plein tarif du port ; que nous dépenserons moins de charbon, de matières d'entretien, que nous aurons moins d'usure et que nous n'aurons presque jamais à faire appel aux remorqueurs étrangers . De plus, nos propres affaires ne seront plus alourdies par aucune obligation et le nouvel état de choses nous apparaît comme bien meilleur pour nous, même si nous éprouvons une petite perte d'argent qui aura sa contre partie dans une meilleure exécution de notre propre service.
Nous ne vous aurions jamais proposé de dénoncer le contrat Delmas, mais cette réserve nous autorise à vous dire aujourd'hui : puisque ces Messieurs nous rendent notre liberté entière, nous sommes d'avis qu'il convient de profiter de l'occasion et ne plus s'engager pour l'avenir, d'aucune manière, pour les raisons suivantes :
1° d'abord afin que notre travail puisse toujours se faire avant tout autre, sans que nous risquions de mécontenter quelqu'un ;
2° parce que les prix de 4 francs et 5 francs (tarif actuel du port) n'ont rien d'exagéré pour les remorquages dans le port, et pour les remorquages du port à l'arrière-port ou vice versa ; le prix de 5 francs est même à peine rémunérateur si l'on envoie , du vieux port, un remorqueur chercher des chalands à la partie sud du Grand Môle, c'est-à-dire en face de l'installation à pétrole, et que le remorqueur ait à attendre un peu ;
3° parce que le contre maître de ces Messieurs donne au contrat autant d'entorses qu'il le peut : lundi dernier, l'"Audax" étant inoccupé il a fait faire successivement six remorquages à des remorqueurs étrangers. Lorsque nous avons fait part de la façon invraisemblable dont cet homme avait injurié Lauzel, nous vous avons dit qu'il avait mis le marché à la main à M. Debusscher à plusieurs reprises : il en résulte qu'il fait ce qu'il veut. Par conséquent, si vous nous engagez à nouveau, vous nous livrerez sans défense à ses caprices.
Il vaut donc bien mieux l'éviter d'autant plus que :
4° sans engagement aucun, nous travaillerons très volontiers pour MM. Delmas Fréres lorsqu'ils pourront avoir besoin de nous et que nous serons à même de le faire.
L'application du contrat encore en vigueur a fait ressortir trop d'inconvénients, à notre point de vue, pour que nous ne vous prémunissions pas contre la conclusion de tout nouvel engagement qui perpétuerait ces inconvénients.
Veuillez agréer, Messieurs, nos bien sincères salutations.
Ch. A Rouyer
PS. Les hommes de la machine ne devant que 9 heures de travail par jour pour leur salaire fixe, il s'ensuit que sur un remorqueur qui commence à travailler à 6 heures du matin le mécanicien et le chauffeur ont droit à l'indemnité pour heures supplémentaires dès trois heures de l'après-midi, c'est-à-dire alors que nous ne touchons que le tarif de jour : ces indemnités s'élèvent à 1 franc pour le mécanicien et 50 centimes pour le chauffeur ; donc, si le remorqueur effectue deux remorquages à l'heure dans le port, nous recevons 7 francs, mais il faut en déduire F 1,50 pour une heure supplémentaire et le produit net pour nous est de F 5,50. S'il est assez facile de faire deux remorquages à l'heure dans le port, le même nombre de remorquages constitue du travail fait dans les meilleures conditions, qui se présentent rarement, lorsqu'il s'agit de remorquages du port à l'arriére-port et vice versa ; cette observation s'applique a fortiori aux remorquages faits du port à la rive sud du Grand Môle (hors du port de l'Agha) de sorte que l'indemnité pour heures supplémentaires se fait sentir tout aussi lourdement et même plus, dans ces deux derniers cas, malgré l'augmentation de 1 franc qui s'applique à ces remorquages.
Le but de cette remarque est de montrer que le tarif du port, soit 4 & 5 francs, est très modeste et qu'il ne se prête pas à des diminutions de faveur.