1948.01.17.De Émile Biette - Paris Normandie.Article
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Le PDF est consultable à la fin du texte.Cent ans sur la mer
Une Compagnie française fête, cette année, son centenaire
Tous ses cargos, aux noms normands ou bordelais, ont leur histoire
Et la "Bidass", leur doyen - et celui de toute la flotte française - bourlingue depuis 47 ans...
Une enquête d'Émile Biette
Créée en 1848, la Compagnie Worms développa surtout ses services maritimes pendant la guerre de Crimée en effectuant des transports de charbon destinés aux besoins de l'armée navale stationnée en mer Noire. Mais c'est surtout à partir de 1859 qu'elle prit un rôle prépondérant dans le cabotage national et international, rôle conservé par elle jusqu'à nos jours. En effet, à cette époque fut créée la plus importante de ses lignes de navigation : de Hambourg à Bordeaux avec escales. Puis, ses affaires se développant, elle entreprit des services sur la Grande-Bretagne, la Belgique, la Hollande, la Suède, le Danemark, l'Allemagne et même la Baltique jusqu'à Leningrad.
Pour assurer son trafic, elle disposait en 1939 d'une flotte de 24 navires que la guerre réduisit de plus de moitié. Treize unités furent perdues les unes sous l'uniforme des patrouilleurs auxiliaires, les autres en continuant leur tâche de cargos. Ce sont "Barsac", "Cérons", "Château-Palmer", "Château-Yquem", "Fronsac", "Jumièges", "La-Mailleraye", "Listrac", "Lussac", "Médoc", "Mérignac", "Pontet-Canet" et "Sauternes". Ces petits navires aux noms de crus bordelais ou de villes normandes ont bien payé leur part dans la grande aventure. A l'heure actuelle, aux onze bâtiments restants se sont ajoutés le "Konfra", de 7.000 tonnes de port en lourd et le "Port-Haliguen", un ancien Allemand de 1.200 tonnes, tous deux en gérance bientôt suivis du "Manche" et du "Calvados", de 1.150 tonnes, construits en 1947 aux chantiers du Trait.
Et d'ici quelque temps un nouveau "Château-Palmer" (2.450 t.) viendra d'Angleterre ; un nouveau "Fronsac" et un nouveau "Listrac" (850 bonnes) de Belgique, tandis qu'un "Médoc" (2.650 t.) prendra naissance à Grand-Quevilly.
Mais parmi tous ceux qui naviguent sous le pavillon bleu à boule blanche de la Compagnie Worms, il est un petit cargo, le plus petit : 558 t., qui mérite une mention spéciale, c'est la "Bidassoa", la "Bidass" comme l'appellent familièrement les marins.
La "Bidass" a vu le jour en 1901 aux chantiers Lobnitz, à Renfrew, en Angleterre. Elle a donc l'âge respectable de 47 ans. C'est le plus vieux cargo de la flotte marchande française, car le "Cartha..." de l'armement Cottaropoulo qui, seul, peut se vanter d'être plus ancien (1897) bien que figurant sur la liste française, bat en réalité les couleurs tunisiennes.
Oh ! la "Bidass" n'a certes aucune prétention, 54 m. de longueur, 300 CV de puissance, 7 nuds de vitesse. Elle est toutefois une preuve du soin apporté à l'entretien des bateaux de la Compagnie Worms s'il en était encore besoin après des records de longévité comme en ont battu "Séphora-Worms", "Suzanne-et-Marie" ou "Hypolite-Worms", jadis.
Mais, direz-vous, ces cargos, qui font le "tramway" d'un port à l'autre, n'ont pas à leur actif des faits bien remarquables. Leur existence est sans histoire.
Vraiment ?... Souvenez-vous, le 8 janvier 1942, le "Jumièges" sombrait, corps et biens, au cours d'une tempête en Méditerrannée, faisant 27 victimes. Il avait eu cependant le temps d'envoyer SOS et le paquebot "Lamoricière", de la Compagnie générale transatlantique se portait à son secours. Hélas, lui aussi devait succomber.
Il chavira le 9, à midi 15 et, malgré l'assistance du "Gouverneur-Général-de-Gueydon", du "Chanzy" et plus tard de l'aviso "Impétueux" et du remorqueur "Obstiné", il n'y eut que 87 rescapés sur 394...
Plus loin encore dans le temps, le "Château-Lafite" vient d'être vendu au gouvernement français. II prend le nom de "Aude" et, sous ce patronyme, il accomplit sa première mission en 1936, mission douloureuse, car il ramène de la lointaine Islande jusqu'à Saint-Malo les cercueils contenant les corps - ceux du moins qu'on a pu retrouver - de Charcot et de ses compagnons, péris à bord du "Pourquoi-Pas".
Plus loin toujours... au mois de décembre 1898, l'"Emma" - un vieux Worms celui-là qui mettait encore de la toile pour aider son "Tourne-broche" - faisait route dans une brume épaisse par mer assez grosse au large des côtes allemandes. Le capitaine, Gabriel Basroger le commandait, un Normand de pure souche, fils de cultivateurs normands.
Soudain, Basroger aperçoit dans le "coton" deux paquebots accrochés l'un à l'autre, l'étrave du premier enfoncée dans la machine du second, c'est le Hollandais "Leerdam" qui vient d'aborder l'Anglais "Gaw-Quan-Sia", il y a 550 personnes, tant dans les canots que sur les deux épaves, lesquelles coulent peu à peu, menaçant de sauter.
Basroger sauve tout le monde, à l'exception d'une femme qui se tue en sautant sans attendre l'ordre et tombe sur une pièce de fer.
Bah !, disait le capitaine de l'"Emma", comme on le félicitait, c'est surtout celui-là qui a fait la besogne. Et il montrait le revolver qu'il avait tenu à la main pendant toute la durée du sauvetage.
Vous voyez qu'il leur arrive tout de même quelque chose à ces cargos qui font le "tramway" d'un port à l'autre.