1946.05.23.De Paul Dolisie - Le Molybdène.Casablanca.Déclaration
Copie
Le Molybdène
Déclaration
Je soussigné, Dolisie Paul, ingénieur civil des Mines, capitaine d'état-major de réserve, certifie les déclarations suivantes.
Quelque temps après l'armistice, lorsque j'avais la direction des mines des phosphates de Kour-m Major, qui me fut présenté par le directeur général des Phosphates, me demanda si j'étais disposé à camoufler du matériel de guerre et des marchandises déroutées qui venaient d'arriver au Maroc et dont les Allemands avaient le plus grand besoin.
Sur mon accord immédiat il fut entendu que nous procéderions d'abord au camouflage de toute la réserve de radium de la France qui avait pu être sauvée de justesse. Cette réserve était formée d'oxyde d'uranium d'une valeur inestimable.
Je réglais le détail de ce camouflage qui fut effectué de nuit à 2 h. du matin dans une mine désaffectée, la Recette 2.
Toutes précautions avaient été prises pour ne pas attirer l'attention du personnel européen qui comptait plusieurs agents d'origine italienne.
Le transport de l'oxyde d'uranium fut fait par des Sénégalais qui ignoraient la nature du chargement qu'ils manipulaient et l'endroit où ils se trouvaient.
Je procédais un peu plus tard à une deuxième opération de camouflage plus importante.
Elle fut exécutée dans la mine d'André Delpit qui se trouve à 35 km de Kourrigha. Cette mine était également arrêtée depuis longtemps. Elle était isolée de tout contact avec le personnel et placée sous la surveillance d'un gardien indigène de toute confiance.
Un embranchement de la galerie principale à grande section fut utilisé comme dépôt de matériel de guerre et de marchandises sur plus d'un kilomètre de long. L'extrémité de l'embranchement qui débouchait dans une vallée de l'extérieur fut rebouchée soigneusement. Juste après sa jonction sur la galerie principale on fit ébouler sur une vingtaine de mètres le toit de l'embranchement à l'aide d'explosifs. Enfin, le raccordement de l'embranchement sur la galerie principale fut masqué par un mur épais en maçonnerie identique aux murs de soutènement déjà montés le long des parements de la galerie aux emplacements où le toit manquait de solidité.
Ces travaux qui demandèrent plus de quinze jours furent exécutés par des militaires. Ils n'éveillèrent pas l'attention de quelques indigènes signalés dans la région pour être à la solde des commissions d'armistice allemande et italienne et leur servir d'indicateurs.
Après l'exécution des travaux, rien, à l'exception des plans de la mine, n'indiquait la présence d'une galerie camouflée.
La mine fut alors abandonnée sans gardien et sans fermeture à son entrée.
Je fis disparaître moi-même des archives du bureau des plans, tous les plans portant l'indication du dépôt clandestin.
Je ne me rappelle plus le nom d'emprunt de l'officier d'état-major auquel j'ai prêté mon concours pour effectuer ces camouflages. Il changeait de nom, de costume et d'automobile chaque fois qu'il venait me voir.
Par mesure de prudence je n'ai jamais voulu prendre des notes au sujet de ces opérations qui me valurent par la suite, après le débarquement américain, une lettre de félicitations du Résident général au Maroc, commandant le TOM, dont la copie est ci-jointe.
Je quittais la direction des Mines de phosphates de Kourrigha le 1er Janvier 1942 pour prendre la direction de la société Le Molybdène et de la Société marocaine d'études et d'exploration minières.
Je ne connaissais pas alors les dirigeants de la Maison Worms que je ne rencontrai pour la première fois qu'en septembre 1942, mais je savais par M. Carrette qui m'avait engagé pour leur compte, qu'ils jouaient un jeu difficile pour s'opposer dans la mesure du possible aux livraisons de molybdénite dont il y avait un stock de 125 tonnes disponible à Azegour.
Au moment de mon arrivée dans mes nouvelles fonctions le siège social du Molybdène venait de faire savoir à Azegour qu'il fallait livrer 25 tonnes de molybdénite à la Maison Otto Wolf.
Par ailleurs, le service des Mines du Maroc m'envoya le 13 janvier 1942 des instructions dont la copie certifiée conforme par le service des Mines lui-même est ci-jointe, pour expédier le plus tôt possible ces 25 tonnes de minerai de molybdénite sur la France en exécution des prescriptions du département des Affaires étrangères de Vichy.
Cette expédition, qu'il n'y avait pas moyen d'éviter, fut retardée par mes soins jusqu'à la fin du mois de mars 1942.
A noter que l'ingénieur qui dirigeait l'exploitation des Mines d'Azegour, M. Bourg avait servi comme moi à camoufler du matériel de guerre comme l'indique la déclaration ci-jointe.
Casablanca, le 23 mai 1946
P. Dolisie