1945.01.02.De Worms et Cie.Note
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Le PDF est consultable à la fin du texte.NB : La liste des annexes est donnée à la fin du texte.
Monsieur Hypolite Worms et Monsieur Gabriel Le Roy Ladurie ont été arrêtés par l'autorité administrative le 7 septembre 1944.
Après un séjour d'une semaine au commissariat de police, ils furent transférés à Fresnes et inculpés d'atteinte à la sûreté extérieure de l'État, conformément à l'article 75 du Code pénal.
L'inculpation porte sur deux chefs :
1/ livraison de sous-marins à l'ennemi,
2/ relations de nos services bancaires avec des banques allemandes.
Après deux mois d'enquêtes, d'interrogatoires, d'audition de témoins divers, d'expertises, le juge d'instruction estima que les premières investigations approfondies qu'il avait faites lui permettaient de déclarer que l'accusation était non fondée et qu'il y avait lieu de prendre vis-à-vis des inculpés une mesure de mise en liberté provisoire. II se réservait d'ailleurs de continuer son enquête sur les différentes activités de la Maison Worms et des sociétés qu'elle contrôlait.
En effet, les conclusions de l'expertise sur les livraisons de navires aux autorités allemandes sont les suivantes (annexe 1, p.16) :
- « d'une part, ce n'est que sur l'ordre du gouvernement français, en exécution des accords de Wiesbaden, et sous la pression allemande, que les Chantiers du Trait ont poursuivi, pour le compte de l'Allemagne, une partie des constructions en cours au 25 juin 1940 ; ils ne l'ont fait qu'après avoir attiré l'attention du gouvernement français sur la gravité que pouvait revêtir la livraison de matériel de guerre à l'occupant.
- d'autre part, la Maison Worms ne paraît pas avoir recherché ou sollicité les commandes allemandes ; elle semble, au contraire, s'être bornée à accepter celles qui lui furent imposées. »
et (annexe 2, p.4) : « ... J'ai pu constater notamment de la part des Chantiers du Trait un freinage systématique des fabrications. »
En définitive, la partie des constructions appartenant au gouvernement français lui-même et terminée sur son ordre formel pour compte allemand s'est réduite à :
- un sous-marin, inutilisable à des fins militaires,
- un pétrolier,
qui auraient dû être achevés quelques mois après l'armistice. Ils n'ont été l'un et l'autre livrés qu'avec plus de deux ans de retard, dus au sabotage systématique. On peut ajouter que si la Maison Worms avait laissé réquisitionner son chantier par les Allemands, ceux-ci auraient pu y construire plusieurs sous-marins et plusieurs pétroliers.
Quant à l'activité bancaire, il ressort (annexe 4, pages 4 et 5) que « le pourcentage des opérations traitées par la banque Worms avec les banques allemandes s'élève à 1,47% de l'ensemble des opérations des autres banques de la place de Paris et qu'il n'atteint même pas 1% des opérations traitées par les autres banques françaises sur tout le territoire (chiffres de la Banque de France) ». Précisons, en outre, qu'il ne s'agissait là que d'opérations bancaires courantes, sans la moindre cession de participation et qui représentent un pourcentage infime de l'activité générale de la Banque.
En ce qui concerne le département charbon et les services maritimes, ils n'ont jamais été appelés à traiter avec l'ennemi d'opérations de quelque nature qu'elles soient.
Enfin, dans toutes les filiales et participations, la Maison Worms a usé de l'influence dont elle disposait pour que soit observée la même réserve vis-à-vis de l'ennemi et assurée la même sauvegarde des intérêts français.
Le juge d'instruction transmit donc sa demande au parquet le 7 novembre ; il lui fut répondu une première fois que des révélations venaient d'être faites sur l'activité de la Maison Worms par un administrateur judiciaire qui se trouvait à Alger au Service du blocus. Ce dernier fut entendu le 14 novembre et souleva la question d'une mine au Maroc appelée le Molybdène, dans laquelle la Maison Worms détient une participation de 32%, qui se trouvait auparavant entre des mains suisses. Elle n'a acquis ces titres en avril 1940, que sur la demande expresse du gouvernement français et pour éviter qu'ils ne tombent entre des mains allemandes. Depuis la guerre, le Molybdène est entièrement sous contrôle des services publics.
Après nouvelle enquête, le juge acquit la conviction que cette accusation était également sans fondement ainsi qu'il ressort de l'annexe 5, p.5 et 6.
Il décida donc, le 18 novembre, de proposer une seconde fois la mise en liberté provisoire. Il lui fut répondu que :
1/- la Commission de justice du CNR demandait à nouveau une enquête sur certaines filiales et participations de la Maison,
2/- la préfecture de police avait avisé le parquet que, si les inculpés étaient mis en liberté provisoire, il serait pris à leur égard une mesure d'internement administratif.
Cette opposition de fait à l'exécution d'une décision de justice est inacceptable. Cependant, afin de déférer aux désirs de la Commission de justice du CNR, le juge d'instruction résolut, avant de prendre une troisième décision, d'élargir son enquête aux principales filiales et participations de la Maison, et c'est ainsi que des témoignages furent recueillis sur :
- les Établissements Japy Frères,
- les Établissements Puzenat,
- la Nouvelle compagnie havraise péninsulaire de navigation,
- la Société française des transports pétroliers,
- la Société centrale d'achats pour le nord de l'Europe,
- l'Union d'exportateurs français pour l'Europe du Nord,
- la Société d'études et d'explorations minières,
- la Société des mines de Charrier,
- la Société des mines de Montmins,
- la Société du Molybdène des Vosges, etc.
Ces enquêtes ne sont pas toutes entièrement terminées. Il est, dès maintenant, possible de dire qu'elles n'apporteront qu'une confirmation supplémentaire de l'entière innocence de Messieurs Worms et Le Roy Ladurie.
II serait profondément injuste et inacceptable qu'à la suite de ces nouvelles enquêtes l'autorité administrative s'opposât à nouveau à ce que la justice suivît son cours normal, et l'on ne comprendrait pas qu'une mise en liberté provisoire décidée par l'autorité judiciaire fût mise en échec par une mesure d'internement administratif.
Est-il besoin d'ajouter que le groupe Worms, de par ses activités diverses - que risquent de compromettre des attaques sans fondement qui renouvellent celles que la presse d'occupation n'a cessé pendant quatre ans de diriger contre la Maison - présente pour la reprise de l'activité économique, consacrée aujourd'hui à l'effort de guerre, demain à la reconstruction du pays, un intérêt que personne ne songe à contester.
A cette note sont annexés différents documents :
- n°1 - rapport d'expert sur les Ateliers & Chantiers de la Seine-Maritime - Le Trait [voir le rapport n°1 de Gaston Bernard au juge Thirion en date du 13 octobre 1944],
- n°2 - dépositions des ingénieurs des services techniques de la Marine nationale, chargés de la surveillance des chantiers français [voir le rapport de Jean Dieudonné et Jean-Jacques Balland, en date du 20 octobre 1944],
- n°3 - position générale de la Maison Worms après l'armistice [voir la note datée du 6 décembre 1944 et 11 janvier 1945],
- n°4 - rapport sur les activités bancaires de la Maison [voir la note du 16 décembre 1944],
- n°5 - note sur le Molybdène [voir annexe 5 - 13 novembre 1944],
dont la lecture confirmera les points exposée ci-dessus.
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