1945.01.05.De Ch. Ronsac - Franc-tireur.Article

Coupure de presse

Le PDF est consultable à la fin du texte.

Franc-Tireur
5 janvier 1945

Va-t-on faire la lumière sur le complot d'Alger,
Lemaigre-Dubreuil, ancien conseiller intime de Darlan, et Rigaud, ex-commissaire à l'Intérieur d'Alger, ont été arrêtés

Deux arrestations que l'on peut qualifier de sensationnelles ont été opérées, hier, à Paris.

On pourrait se demander comment Lemaigre-Dubreuil et son inséparable lieutenant Rigaud ont pu tromper la surveillance des gardiens de leur "résidence surveillée" du Maroc, passer au Maroc espagnol et franchir la frontière franco-espagnole. On pourrait aussi se demander pourquoi ils ont éprouvé le besoin de venir se "cacher" à Paris, alors que sous le coup d'un mandat d'amener lancé à Alger pour atteinte à la sûreté de l'État, ils auraient pu se réfugier en pays neutre comme tant d'autres Bonnet...

Un grand serviteur des trusts

Jacques Lemaigre-Dubreuil n'est pas un inconnu pour tout le monde. Potentat de la haute finance ou de la grande industrie ? Ce serait beaucoup dire, bien qu'on l'eût trouvé naguère à la tête des huiles Lesueur et au conseil d'administration de la Société générale des Pétroles (contrôlée par la Royal Deutsch). Grand serviteur dévoué des trusts serait plus juste. Là, il avait rang d'employé de confiance et s'acquittait fort bien de ses devoirs.
Le grand public se rappelle les campagnes démagogiques menées contre le Front populaire par une certaine Ligue des contribuables. Le pauvre "contribuable" qui présidait cette fédération n'était autre que Lemaigre-Dubreuil, homme à tout faire des autres "contribuables" des deux cents familles.
Jean Rigaud, lui, c'est le brillant second. Un second qui sut, nous le verrons, prendre la première place dans les affaires troubles...

"Le coup d'Alger"

Cela, c'est ce que chacun est censé savoir, c'est la façade derrière laquelle se cache une des plus louches combinaisons politico-financières de notre temps. Car Lemaigre-Dubreuil et Rigaud furent aussi parmi les instigateurs [...] à l'Intérieur du Conseil impérial du même Darlan. On retrouve plus tard Lemaigre-Dubreuil en mission spéciale à Washington où il se livre, de son propre chef, à de telles démarches... qu'il finit par être expulsé sous la pression d'une partie de l'opinion américaine. On les voit en compagnie de Flandin et de Pucheu qui, comme par hasard, quittèrent ensemble la France pour l'Afrique du Nord, aussitôt connue la nouvelle du débarquement allié.
Tous ces beaux messieurs de la "collaboration", sentant venir le vent nouveau... avaient décidé d'aider les Alliés à débarquer en Afrique du Nord, non pas par haine d'une Allemagne qu'ils avaient jusqu'alors servie, mais pour sauver, avec leur peau, les intérêts des groupements financiers et industriels qu'ils représentaient.
Mieux, ils entendaient empêcher par tous les moyens le général de Gaulle de prendre la place qui lui revenait à la tête du gouvernement de la France ; ils voulaient perpétuer en Afrique du Nord, puis dans la métropole, le régime d'oppression de Vichy, sous la haute direction d'un Darlan et la protection d'alliés mal renseignés et dupés, comme l'ont montré les accords Murphy-Darlan. L'équivoque créée par le "complot d'Alger" ne devait prendre fin qu'après l'arrivée du général de Gaulle.
Ce n'est d'ailleurs pas fortuitement que l'on retrouve aussi Peyrouton dans la même bande. Dès la mort de Darlan, c'est Lemaigre-Dubreuil lui-même qui suggéra au général Giraud que Peyrouton, alors ambassadeur de Vichy en Argentine, pourrait être appelé à Alger pour remplacer l'amiral. Le représentant américain, Robert Murphy, fut pressenti, et Peyrouton "importé" en Afrique du Nord. Ajoutons que le dénommé Rigaud est considéré à Alger comme étant celui qui a poussé le plus activement à l'exécution rapide du jeune patriote Bonnier de la Chapelle qui abattît Darlan.
Il manquait à cette brochette un certain Jacques Le Roy Ladurie. Les "chemises vertes" de Dorgères, le parti fasciste paysan cela ne vous dit rien, Eh bien ! C'était lui. Il était aussi à Alger avec ses amis, un peu plus dans la coulisse, mais n'est-ce pas aussi dans la coulisse que Le Roy Ladurie se trouvait lorsque, à Wiesbaden, durant l'été de 1939, il s'entretenait avec le général junker von Bock ?
Il faudra bien que la justice, sans trop tarder, ouvre tout grand le dossier de ces troublantes affaires qui, depuis les années qui précédèrent la guerre jusqu'au triomphe du général de Gaulle par l'installation du CFNL à Alger, ont constitué une des plus colossales entreprises de trahison autrement importantes que celles d'une dactylo, fut-elle la secrétaire d'un J.-H. Paquis.
Sans trop tarder, car on n'a que trop attendu pour examiner et juger le cas du trop célèbre banquier Hippolyte Worms, financier de la Kollaboration, qui était l'agent français des intérêts de la banque allemande du baron von Schroeder, de Cologne, elle-même étroitement liée avec le grand trust allemand de l'industrie chimique I. G. Farbenindustrie ; de ce Worms, arrêté il y a quelques mois et dont on commence à se demander s'il est toujours en prison...
Si nous parlons de Worms, c'est parce que ce grand financier était de ceux qui tiraient Ies ficelles des combinaisons de Lemaigre-Dubreuil-Rigaud-Peyrouton-Flandin... et Pucheu. Pucheu était lui-même membre de la banque Worms - comme, d'ailleurs Le Roy Ladurie, - chef du Comptoir sidérurgique franco-allemand et, à ce titre, participa avec feu Bichelonne à la mise en tutelle de l'industrie française. On se rappelle que la première grande opération faite par ce groupe collaborationniste fut la fusion de l'industrie chimique française dans la société Francolor, dont la majorité des actions fut cédée à I. G. Farbenindustrie.
A présent que Lemaigre-Dubreull et Rigaud sont allés rejoindre en prison leurs complices Worms, Flandin et Peyrouton, le pays va pouvoir être éclairé pleinement sur les véritables mobiles de cette politique de trahison menée par les fausses élites de la "technocratie" sous le couvert du "double jeu", et dont le grand maître, celui par qui tout commence et par qui tout finit, n'est autre que Pétain.

Ch. Ronsac

Back to archives from 1945