1945.05.22.De Robert Labbé.A Hypolite Worms.Note (sans signature ni destinataire)

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NB : Note sans émetteur ni destinataire, issue d'un dossier contenant la correspondance d'H. Worms, avec R. Labbé et R. Meynial.

22 mai 1945

J'ai reçu ce matin un coup de téléphone de Saboulin qui projette de venir vous voir à B. L. le 1er juin. Je lui ai fait comprendre qu'il était possible que vous soyez convoqué à ce moment-là, auquel cas il n'aurait pas besoin de se déranger.
En tout état de cause, Simoni tiendra le contact avec lui pour que vous soyez informé en temps utile de son déplacement.
Il vient vous voir d'accord avec les Chargeurs pour vous entretenir - m'a-t-il été indiqué dans la coulisse - des questions qui se posent à l'occasion des mesures de nationalisation envisagées dans leurs rapports avec notre propre position. Je vous donne ci-après mes vues personnelles sur le sujet :

1°- Les contractuels seront nationalisés, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Mais le problème des Messageries libres n'est pas sans poser de redoutables inconnues. Saboulin a eu à déjeuner la semaine dernière Marchegay avec qui il s'en est entretenu, sur un plan d'ailleurs très général et sans conclusion nette.
Francis F., au cours d'une récente conversation, m'a dit expressément qu'ils essaieraient par tous leurs moyens d'obtenir que Madagascar reste l'apanage des libres et la nationalisation des seuls contractuels dans leur objet.
La position est beaucoup plus délicate du côté de l'administration. Au cours des récentes conversations que je viens d'avoir avec Chardon et Diethelm, ceux-ci ne m'ont pas caché que la nationalisation des deux compagnies s'imposait. Diethelm, notamment qui, comme commissaire du gouvernement, connaît bien la boutique, a soulevé auprès de moi la question des agences. Si les deux sociétés n'étaient pas nationalisées, il faudrait que les contractuels rachètent le réseau d'agences des libres, notamment en Indochine, Chine, etc. dont la valeur est horriblement difficile à fixer. Il y a donc de ce côté-là et par suite de mélanges d'intérêts, une position que l'on ne veut pas voir subsister et certainement un désir très net d'aller à une mesure complète.
J'ajouterai que, comme l'a dit le ministre, il n'est pas question de nationaliser du déficit et que, comme dans le cas de la CGT, il peut paraître plus opportun sur le plan financier de nationaliser du cargo rentable à côté de paquebots non rentables, d'autant plus que le divorce est complet entre Mayer et Tillion sur la question Marine marchande Air.

2°- Sur le plan des principes, nous n'avons, j'estime, rien à voir dans cette bagarre qui ne nous concerne absolument pas. Le seul point sur lequel, comme nos autres collègues, nous devons exprimer nos pensées et, le cas échéant, tout faire pour les faire triompher, c'est bien, dans l'hypothèse d'un partage entre l'armement libre et l'armement nationalisé, de même que dans les secteurs où les deux armements seront en compétition, d'aboutir à une formule soit d'entente, soit de pool, soit de conférence qui sauvegarde les conditions de notre action et nous donne la possibilité de travailler en toute indépendance.
Ceci étant, ce qu'il nous faut sur Madagascar, c'est être en présence d'une compagnie, soit une compagnie d'État, soit une compagnie libre. La présence à côté de nous d'une compagnie d'État aura l'avantage, dans le cadre précité d'un accord de trafic, de nous éviter probablement pour plus tard le risque d'un empiétement de l'État, puisque tous ceux que j'ai vus place Fontenoy m'ont bien précisé qu'il ne saurait être question de créer pour les lignes d'État des monopoles, tout au moins en ce qui concerne les cargos.
En sens inverse, l'existence d'une compagnie libre, sur un trafic à caractère moyennement spectaculaire comme Madagascar peut ne pas impliquer de danger trop manifeste et nous laisser travailler dans des conditions certainement plus faciles que s'il s'agissait d'un armement d'État.
En tous cas, pour moi, avantages et inconvénients se balancent.
Je passe pour mémoire sur la question des lignes d'Égypte, dont vous avez dit à Meynial qu'elle n'était pas actuelle, mais qui, suivant les changements à intervenir, peut le devenir rapidement. Nous aurions évidemment intérêt à cet égard à essayer de monter quelque chose en commun ou en accord avec des Messageries libres, mais ne craignez-vous pas que, principalement pour des raisons d'ordre politique, l'on ne veuille accentuer notre prestige en Moyen-Orient par une politique de facilités ?

3°- Reste alors une des questions les plus importantes, celle des agences des Messageries ; Madagascar et Égypte.
C'est certainement le point sur lequel Saboulin doit être le plus sensible puisque une grosse partie de leurs avantages en découle.
Aucune position, sauf de principe, n'a été prise jusqu'ici par Bucquet alors qu'au contraire, nos négociations étaient assez avancées en vue d'une reprise éventuelle par nous des agences d'Égypte. II est certain que dans le cas d'une nationalisation totale, la solution du problème Madagascar sera vraisemblablement rendue plus délicate et celle de la reprise par nous des agences Égypte probablement rendue impossible.
Je ne pense pas, par ailleurs, que l'on puisse envisager la formation de sociétés de consignations puisque c'est précisément cet abus que les réformateurs veulent voir disparaître.
J'inclinerais donc, en définitive, mes vues, du seul angle agences, que le maintien d'un réseau libre sur Madagascar serait plus avantageux, sans que l'une ou l'autre solution n'apparaisse, en ce qui concerne Égypte, comme devant être pour nous d'un appoint décisif. Pour ces dernières agences, ce sera, en définitive, essentiellement une négociation avec l'administration que nous devrons mener en dernière analyse.
Faut-il donc, tout bien pesé - et ils ne nous le demanderont peut être pas d'ailleurs - nous mêler, en fait, de cette question, en dehors de conseils personnels que vous pouvez être amené à donner à titre privé.
Votre note du 19 - Entièrement d'accord sur tout ce que vous dites, aussi bien en ce qui concerne la société maritime Webster. Sur le premier point, j'ai, dès le début, été hésitant sur une formule camouflée, pleine d'embûches, au moment même ou nous voulons reprendre notre place, avec notre propre pavillon. Reste la seule hypothèse de trafic Angleterre, Norvège, Danemark ou Allemagne, mais il est bien suffisant de faire un simple placement, à nos risques d'ailleurs, alors que nos capitaux doivent servir à faire marcher les affaires qui nous intéressent directement. Nous pourrions donc nous orienter vers la formule du tramp, sous les réserves que vous exprimez.
En ce qui concerne Webster, comme Emo va se rendre prochainement en Angleterre, il verra la question maritime plus à fond, car ce n'est pas avec des contacts très rapides que nous pouvons nous en tirer.
Quant à la question charbonnière, c'est pour moi quelque chose qui se mange froid, quand la situation aura évolué notamment après les élections générales qui permettront de voir plus clair quant à la nationalisation des mines.


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