1940.11.13.De Rudy Cantel - Paris-Soir.Article
NB : Cet article provient d'un recueil de coupures de presse datées du 17 octobre 1940 au 21 décembre 1941, qui est classé au 17 octobre 1940.
Paris Soir
13 novembre 1940
Supprimons les Trusts
Protecteurs et protégés sont toujours en place
Une épuration totale interviendra-t-elle à temps ?
par Rudy Cantel
On ne semble pas avoir très bien compris, en haut lieu, l'influence considérable dont jouissait le trust Worms.
Nous avons dénoncé dans une série d'articles les scandales de cette firme qui, comme tant d'autres trusts, est à la base de notre désorganisation sociale et de notre défaite.
Beaucoup de ceux que nous avons stigmatisés sont encore en place et espèrent, par un silence prudent, faire oublier leur action passée.
Quelques-uns même espèrent nous "avoir", nous le savons, car on nous a rapporté leurs propos, mais peu importe !
Nous ne nous lasserons pas, car il s'agit là d'une oeuvre de salubrité publique et de rénovation sociale.
Pour faire une France neuve, saine et forte, il faut que tous ces gens quittent les fonctions qu'ils occupent grâce à des appuis, à des recommandations qui n'ont rien à voir avec leurs compétences.
Rappelons une fois de plus l'influence pernicieuse que peuvent exercer des hommes comme Jacques Barnaud, associé du trust Worms, inspecteur des finances, ex-bras droit de M. Bouthillier et actuellement directeur du cabinet de M. Belin, ministre de la Production industrielle et du Travail.
Comme Jacques Guérard, du trust Worms, nommé par décret du 11 octobre 1940 "président du comité d'organisation de l'industrie des assurances et de capitalisation".
Comme MM. Duret, Gardanez, Louis Vignet, Fénez, tous du trust Worms.
Pas de demi-mesures
Certains ont d'ailleurs admis d'eux-mêmes, que, dans la France nouvelle, ils devaient disparaître de la scène publique. On a "forcé" certains autres à comprendre. M. Michel Goudchaux a donné sa démission de la Maison Worms. D'autre part, M. Pineau, directeur des carburants au ministère de la Production industrielle et du Travail, a été relevé de ses fonctions par décret du 15 octobre, publié le 17, au Journal officiel.
Mais M. Jacques Barnaud est toujours directeur du cabinet de M. Belin. Et puisque les faits que nous avons cités ne sont pas suffisants, voici certaines précisions qui jetteront un jour nouveau sur l'attitude du trust Worms, dont M. Jacques Barnaud était l'un des associés :
Indépendamment des compagnies de navigation, de pétrole, de charbons, de transports, de stockage, de manutention et d'assurances qui lui appartenaient, le trust Worms avait su se créer un puissant réseau d'attaches dans le monde industriel et maritime.
Le rôle étrange des Chargeurs réunis
L'agent des Chargeurs réunis et de la Compagnie de navigation Sud-Atlantique en Pologne, à Varsovie, à Gdynia, Dantzig, Boulogne, Marseille, Cardiff, Hull, Port-Saïd, Prague, Suez, Swansea était, comme par hasard, une fois de plus, de la Société Hypolite Worms.
En particulier, à Varsovie, cette société était dirigée par M. Brieule, marié à une Israélite d'Odessa, qui s'occupait de grouper les émigrants polonais et de les envoyer via Ies navires des Chargeurs réunis et de la Compagnie Sud-Atlantique, vers l'Amérique du Sud. M. Brieule, représentant de la banque Worms, recevait par tête d'émigrant envoyé en Amérique du Sud, 2,5 dollars-or. La moyenne des émigrants se chiffrait à 2,500 par mois. Le dollar-or valant environ 210 frs, cela donne par an : 2,5 (dollars) x 210 (francs) x 2.500 (passagers) x 12 (mois) = 15.750.000 francs par an. Ce petit commerce a duré près de dix ans. L'un des navires qui faisaient ce trafic s'appelait le "Krakus". Il est à tout le moins surprenant qu'actuellement M. Brieule soit l'un des directeurs de la banque Worms à Paris.
Si un seul agent pouvait toucher une telle somme, quel devait donc être le bénéfice de la banque Worms et de la Compagnie des Chargeurs réunis ?
Plus de "protégés" ni de profiteurs
Nous serions curieux de savoir de quelle mission a été chargé M. Leroux, gendre de M. Léon Cyprien-Fabre, vice-président et administrateur délégué des Chargeurs réunis et de la Sud-Atlantique, lorsque celui-ci l'envoya en Amérique pendant la guerre 1939-40. M. Léon Cyprien-Fabre est, d'ailleurs, parti également pour l'Amérique au moment de l'armistice. II n'a pas encore été destitué de la nationalité française. Pour quelle raison ? Est-ce à cause de ses nombreuses attaches avec les hommes politiques les plus considérables qu'il recevait, avec M. Alexis Baptifaut, administrateur délégué des Chargeurs réunis, dans une certaine popote qui siégeait 3, boulevard Malesherbes ?
Enfin, nous nous demandons également pourquoi les commissaires administrateurs nommés pour gérer certaines banques, touchent des sommes tellement considérables ? M. Olivier de Sèze, commissaire administrateur désigné par Vichy, ancien inspecteur de la Banque de France, a été chargé de la gestion de la Banque Hypolite Worms. Les banques sont obligées de payer des sommes colossales aux administrateurs français qui remplissent ce service de contrôle. On parle pour certaines banques d'appointements et de participation "d'un million par an". Inutile de dire que ces places sont recherchées par les protégés de Vichy qui n'en espéraient pas tant.
Lorsque, par-dessus le marché, des appointements sont dévolus à des moins de 40 ans, on conçoit facilement qu'ils ne soient pas pressés de s'en aller.
Les trusts savent payer leurs protecteurs.