1932.03.04.De la Chambre des députés.Proposition de résolution
Proposition de résolution tendant à inviter le gouvernement à prendre dans le plus bref délai les mesures nécessaires en vue de diminuer le chômage qui frappe gravement la flotte de commerce, les marins français, ainsi que les travailleurs des industries maritimes et des ports.
Exposé des motifs
Messieurs,
Les crises de production ou de consommation ont une incidence fatale sur les industries de transports. La crise économique actuelle, quelle qu'en soit la cause, pèse donc lourdement sur l'industrie des transports maritimes.
Placée pour des causes diverses dans des conditions d'infériorité vis-à-vis de ses concurrents étrangers, la marine marchande française subit plus que toutes les autres les effets de cette crise.
La Commission de la marine marchande vient d'être saisie par les représentants de l'armement et de l'interfédération des corporations maritimes d'un appel émouvant sur la gravité de la situation dans laquelle se trouvent les industries des flottes de commerce et plus particulièrement de l'armement libre et des navires de charge.
Plus que toute démonstration, les chiffres qui lui ont été fournis, chiffres impressionnants, mettent en pleine lumière toute l'étendue de la crise et la nécessité d'y apporter, d'urgence, des remèdes.
Le tonnage de la flotte de commerce français était, en 1914, de 2.555.775 tonneaux ; il est à la fin de 1931, de 3.568.896, soit un million de tonneaux de plus qu'avant-guerre. Or, au 1er janvier 1930, il y avait 97.000 tonneaux désarmés dans nos ports ; au 1er janvier 1931, 229.000 ; et au 1er janvier 1932, 768.000, ce qui représente plus de 20% de notre flotte dont la plus grande partie a été renouvelée après la guerre dans des conditions telles que l'amortissement pèse lourdement sur les compagnies d'armement.
Si l'on examine les recettes réalisées ou mieux encore le taux des frets depuis 1920, on fait les constatations suivantes, d'après la moyenne annuelle de l'indice des frets de la Chamber of Shipping.
Années | Moyenne annuelle sur la base 1920 = 100 | Moyenne annuelle sur la base 1913 = 100 |
1920 | 100 | 100 |
1921 | 37,6 | 161,8 |
1926 | 28 | 124,1 |
1929 | 24,87 | 106,7 |
1930 | 19,11 | 81,8 |
1931 | 19,9 | 85 |
En 1930, la courbe des frets s'est donc abaissée en valeur or, au-dessous de la base de 1913. Or, le coût d'exploitation des navires s'est élevé par suite de la baisse du pouvoir d'achat de l'or ; qu'il s'agisse du coût de la construction, des réparations, des approvisionnements, des droits de ports ou des charges fiscales, les dépenses d'exploitation d'un navire, exprimées en or, ont augmenté de 60 à 70% sur la période d'avant-guerre.
Le rapprochement de ces trois termes : capital improductif du fait du tonnage désarmé, diminution de la valeur du fret, augmentation des dépenses d'exploitation, montre les difficultés dans lesquelles se débat l'armement français.
Ces difficultés atteignent principalement l'armement libre qui, réduit à ses seules ressources, ne trouve plus les marchandises nécessaires pour remplir les cales, ou n'en trouve que dans des conditions d'utilisation qui ne lui permettent pas de faire des voyages rémunérateurs.
Si, en temps normal, les exploitations maritimes établissent une compensation entre plusieurs voyages, afin de conserver une clientèle, cette compensation n'est plus possible dans les conditions économiques actuelles ; il leur faut donc ou accepter leur ruine ou abandonner des lignes ou des trafics qui ne se retrouveront plus jamais.
Les compagnies de navigation subventionnées par l'État desservent pour la plupart des lignes dites impériales, c'est-à-dire d'intérêt national.
Les subventions que l'État alloue à ces compagnies les garantissent en temps normal soit des risques éventuels, soit, plus encore, du service rendu à l'intérêt général. Mais ce sont malheureusement ces lignes qui sont les premières atteintes par la crise actuelle en raison même de leur caractère impérial, et des dépenses presque somptuaires qu'elles exigent. Le déficit de ces lignes s'est brusquement aggravé depuis les deux dernières années : le total des subventions qui couvrent ce déficit s'élevait à 283 millions en 1929 ; en 1931 il est de 360 millions ; le total prévu pour 1932 est encore supérieur (390 millions).
L'une des incidences les plus pénibles de la crise touche le personnel de notre marine marchande. Le désarmement entraîne le débarquement de l'équipage. Le nombre des marins officiellement secourus ne paraît pas d'après les statistiques officielles être très considérable. Mais les calculs effectués en tenant compte de l'importance de l'équipage des navires désarmés font apparaître environ 8.000 marins sans embarquement. D'après les chiffres fournis par les organisations fédérales, on devrait compter près de 10.000 marins et 2.000 officiers chômeurs.
A ces chiffres on doit ajouter tous les travailleurs des industries des ports qui gravitent autour des navires, et en particulier les dockers et les employés de toutes les entreprises de chargement et de ravitaillement des navires. On doit y ajouter et surtout, une grande partie des ouvriers employés dans les chantiers navals - constructions et réparations - qui, faute de commandes sont obligés de licencier une partie de leurs ouvriers et même de fermer leurs portes. La crise que traversent les chantiers navals est d'ailleurs ancienne et la situation actuelle n'a pu que l'aggraver.
Disons que la marine marchande française n'est pas la seule à souffrir ; la situation de la marine marchande mondiale n'est pas meilleure.
Le tonnage mondial désarmé représente douze millions de tonneaux soit le cinquième de la flotte mondiale. Les constructions se sont ralenties ; elles ne sont plus, au 31 décembre 1931 que de 1.400.000 tonneaux. Les compagnies de navigation sont obérées et font appel à leurs gouvernements. En Angleterre, la Royal Mail, qui contrôle 2.600.000 tonneaux est en faillite et pour un capital de 80 millions de livres, ne représente plus qu'un actif de 9 millions de livres. On a constaté, en 1931, un nombre relativement élevé de liquidations de petites sociétés de navigation. Aux États-Unis, le Shipping Board a été obligé d'intervenir par des moyens financiers qui, en sauvant les United States Lines, coûteront à l'État 10 millions de dollars. En Italie, le gouvernement procure une aide massive à l'armement dès 1929, par l'intermédiaire de la Banca Commerciale Italiana et les principales compagnies de navigation sont, en quelque sorte, rachetées et fondues en une seule, l'Italia, pour une réorganisation de toutes les lignes anciennes. En Hollande, s'opère une réorganisation du même genre, et l'on voit des moratoires ou des liquidations. Il en est de même au Japon où le tonnage désarmé atteint 400.000 tonneaux.
Comme on le voit, la situation est très sérieuse et il faut prendre, dans le plus bref délai, les mesures nécessaires pour y porter remède.
Nous vous proposons donc d'adopter la proposition de résolution suivante :
Proposition de résolution
La Chambre invite le gouvernement à prendre, dans le plus bref délai, les mesures nécessaires en vue de diminuer le chômage qui frappe gravement la flotte de commerce, les marins français, ainsi que les travailleurs des industries maritimes et des ports.