1882.04.15.Au ministre de la Guerre.Paris.Original
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Worms Josse et Cie
Ancienne maison
Hypte Worms et Cie
45, boulevard Haussmann
Paris, le 15 avril 1882
Monsieur le ministre,
Monsieur le sous-intendant militaire Barret nous a fait l'honneur de nous adresser la copie d'une lettre que vous lui avez écrite à la date du 13 courant, sous le numéro 1344, 5ème division, 5ème bureau, pour lui faire savoir que notre Maison ne pouvait être admise à concourir à l'adjudication du service du chauffage de l'éclairage qui doit avoir lieu à Bordeaux, le 18 de ce mois, par la raison qu'un de ses membres est de nationalité étrangère et ce, par application des dispositions de l'article 4 des instructions du 24 février 1876 et du 17 mars 1882.
Nous venons respectueusement, Monsieur le ministre, soumettre à votre bienveillante considération quelques observations relatives à cette décision, avec l'espérance de ne pas voir maintenue une interdiction qui nous touche de la façon la plus sensible, sans parler de la question d'intérêt qui peut s'y trouver engagée.
Le texte sur lequel cette décision est basée et dont nous avons hier obtenu communication, est le suivant :
« Elle (la commission) prononce l'exclusion de toute personne qui ne fournit pas la preuve qu'elle possède la qualité de Français et qu'elle est domiciliée en France. »
Il ne nous appartient pas de scruter les motifs qui ont pu vous amener à établir cette restriction à la liberté des adjudications, cependant, vous nous admettrez sans doute à supposer qu'ils doivent être de deux ordres :
1° - utilité pour l'administration de n'avoir en face d'elle que des fournisseurs français et domiciliés en France, de façon à ne pas être exposée à voir ces fournisseurs soustraire leur personne ou leurs biens aux recours qu'elle pourrait avoir à exercer contre eux ;
2° - utilité et convenance politique qu'il n'entre pas dans nos vues de contester.
Ceci posé, nous vous prierons de vouloir bien examiner si, en fait, les inconvénients auxquels le texte qui nous est opposé à voulu parer, existeraient avec nous.
Notre société, dont la fondation remonte à près de 35 ans, est composée, outre deux associés commanditaires de nationalité française, des quatre associés en nom collectif suivants :
- citoyens français - M. Lucien Worms, M. Élie Baudet, M. Henri Goudchaux.
M. Henry Josse, né Français, naturalisé Anglais, tous quatre domiciliés à Paris ; le siège de la société est à Paris ; elle a, en outre, des établissements importants dans les ports du Havre, de la Rochelle, de Bordeaux et de Marseille ; elle est propriétaire d'une flotte considérable de bâtiments à vapeur, armés au Havre et à Bordeaux, portant le pavillon français et qui, tous, ont été utilisés par les départements de la Guerre et de la Marine pendant la guerre de 1870 ; elle a, pendant toute la guerre de Crimée et pendant celle de 1870, été seule chargée des approvisionnements de charbon nécessaires aux mouvements de notre Marine de guerre dans les ports de France et de l'étranger ; elle est actuellement chargée de ces mêmes services dans divers escales de l'étranger ; elle a été et est encore aujourd'hui le fournisseur d'un nombre considérable d'administrations publiques et privées de France ; ses intérêts sont français, le mouvement commercial qu'elle produit chaque année profite à des ouvriers, à des marins, à des employés, au Trésor français ; les bénéfices qu'elle réalise restent en France et y sont consommés. Est-ce là, permettez-nous, Monsieur le ministre, de vous le demander, un soumissionnaire auquel puisse s'appliquer le texte par lequel vous nous avez écartés de l'adjudication du 18 de ce mois ?
Nous vous demanderons, en outre, Monsieur le ministre, si, en droit, le texte qu'on nous oppose nous est même applicable.
Toute personne, dit ce texte, qui ne fournit pas la preuve qu'elle possède la qualité de Français et qu'elle est domiciliée en France, doit être écartée. Cela est clair et ne peut prêter à l'équivoque, un individu non français, non domicilié en France, ne peut être admis à concourir, et ce, probablement, à cause des difficultés qui pourraient entraver un recours à exercer contre lui et également en raison de l'intérêt majeur qu'a l'État à ne pas être servi par des étrangers et des réclamations qu'élèverait l'opinion publique s'il en était autrement. Ce texte nous est appliqué par l'administration de la Guerre ; donc, pour elle, sommes-nous autorisés à en conclure, la maison Hte Worms Josse et Cie, composée de trois associés français sur quatre, établie en France et d'après les lois commerciales françaises, domiciliée en France, est une personne qui ne fournit pas la preuve qu'elle possède la qualité de Français ! C'est là, Monsieur le ministre, une interprétation dont nous ne pouvons croire que le texte soit susceptible. Nous appréhendons qu'il n'ait subi un notre préjudice, préjudice moral bien plus que matériel, une extension que rien ne justifie et nous nous en remettons sans crainte à l'examen le plus approfondi que vous pourrez en faire pour la décision définitive que vous avez à prendre sur notre démarche !
Nous vous demanderons la permission d'ajouter un mot pour terminer ce très long exposé.
M. Lucien Worms a été décoré en 1871 pour faits de guerre dans l'escadron des Éclaireurs de son beau-frère Franchetti.
M. Élie Baudet a des propriétés et une situation personnelle non sans quelque importance dans le département de l'Oise.
M. Henri Goudchaux est le neveu du ministre des Finances 1848.
Nous espérons que la personnalité de M. Henry Josse, né et domicilié en France jusqu'au coup d'État, naturalisé en Angleterre par la suite de son exil, en 1851, rentré en France après 1870, ne sera pas considérée, par vous, comme un empêchement à ce que la société Worms Josse et Cie soit reconnue par votre administration comme possédant la qualité de Française.
L'importance presque exclusivement morale que nous attachons à cette question nous dispensera d'ajouter que nous renonçons d'avance à nous prévaloir de la solution favorable que vous pourrez lui donner pour réclamer contre la décision spéciale qui nous a écartés de l'adjudication du 18 de ce mois.
Veuillez agréer, Monsieur le ministre, l'assurance notre haute considération.
Worms Josse et Cie