1869.09.18.De Lucien Labosse - Hte Worms Port-Saïd
Origine : Collection de lettres reçues - liasse 1865-1874
Hvpolite Worms
Suez and Port Said Coal Depot
Port-Saïd, le 18 septembre 1869
Monsieur Hypolite Worms
Paris
Vous connaissez déjà le résultat de l'inauguration. Une dépêche arrivée hier soir à Port-Saïd annonçait la bonne arrivée à Ismaïlia de tous les vapeurs (40 environ) partis de Port-Saïd, en même temps que trois grands steamers partis de Suez. Le problème se trouve donc résolu des deux côtés.
Tous les vapeurs annoncés à Port-Saïd sont arrivés, les uns, les plus petits, ont pu traverser le Canal, d'autres sont dans notre port, trop longs pour être sans danger expédiés à Ismaïlia à cause des courbes, parmi ces derniers le bateau du vice-Roi : le "Makrousa". Enfin quelques navires de guerre ont dû mouiller à 3 milles de l'entrée du port, tout au large.
Malgré cette grande affluence de steamers, la demande en charbon a été presque nulle jusqu'à ce jour. Voici les livraisons que nous avons faites :
192 T à la flotte autrichienne - qui en avait demandé 1.500 et qui probablement ne demandera plus rien. Vous jugerez facilement de la difficulté que nous avons éprouvée à faire remorquer à 3 milles les chalands plats porteurs du charbon. L'amiral autrichien s'était engagé à payer les chalands en cas de perte nous n'avons donc rien exposé.
La Marine française reçoit en ce moment 100 T et en demandera encore autant. Soit 200 T en tout. Il est possible que nous ayons à livrer en plus 100 T environ à l'"Aigle" donc 2/300 T maximum.
Le bateau du prince des Pays-Bas a pris 76 T et un petit bateau de plaisance français "Fauvette" 10 T. Rubattino, rien.
La demande n'a donc pas excédé 500 T, jusqu'à présent. Nous espérons bien au retour d'Ismaïlia, avoir d'autres demandes, mais ce sera loin d'être ce que nous avions le droit d'espérer.
Nous craignons un encombrement de charbons ici, surtout si les travaux ne sont pas immédiatement continués.
On dit que l'entreprise Lavalley considère les travaux comme terminés et demande la gratification de 3 millions stipulés et que d'un autre côté la Compagnie n'acceptera pas le Canal qui n'est pas terminé suivant les conditions de largeur et de profondeur.
Dans tous les cas les travaux seront continués et le seront par M. Lavalley, soit pour son compte, soit pour celui de la Compagnie.
Nous avons eu, il y a quelques jours, la visite de MM. Rostand, Savon et Coste, qui sont toujours ensemble et qui suivant l'expression de M. Rostand sont les caniches de Lavalley.
Coste nous a offert de se charger de toutes nos manutentions à 5 F 50, y compris la mise en soutes. C'est le tarif imprimé et ce prix est le même pour tout le monde.
Nous avons demandé à M. Coste s'il pensait faire le commerce de charbons, il a répondu : non pour lui Coste, mais qu'il ne pouvait pas s'engager pour Coste représentant Bazin - ou pour Coste représentant Savon, c'est-à-dire qu'il fera du charbon et que nous aurons une concurrence, très puissante, s'il est le fournisseur de Lavalley, insignifiante si nous avons cette fourniture. En un mot Coste est l'ennemi de Worms. Cette société marseillaise tenait ici le haut du pavé, ils voient s'établir une maison qui veut prendre le premier rang, et ils lui feront une guerre sourde mais acharnée.
Le point principal est de ne pas perdre la fourniture de l'entreprise. Il nous est impossible ici d'en parler, personne ne sait ou ne veut savoir ce qui se fera.
Nous n'avons pu voir personne, ni M. [Dupin] des Messageries, ni Herring de Bombay, le calme va se rétablir dans un ou deux jours et il est probable qu'on pourra parler d'affaires.
Nous avons environ 20 chalands pleins de charbon qui attendent les ordres, j'espère bien que M. Guichard tiendra sa promesse et ne fera pas payer la location, s'il en était autrement nous aurions à payer environ 5.000 F de loyer à la Compagnie ce qui n'est pas gai.
Il est difficile de se figurer loin de Port-Saïd, les anxiétés dans lesquelles nous sommes et les préoccupations et les inquiétudes qui nous poursuivent, nous ne basons nos calculs que sur des probabilités, rien n'est établi et stable - hier encore personne ne croyait au passage sans accidents. Dans la joie qu'a causée la bonne nouvelle, il se mêle des craintes pour le retour. Ne soyez donc pas étonné si nos lettres n'arrivent pas toutes avec la même suite d'idées, nous n'avons qu'un but, faire de bonnes affaires et placer haut la maison, mais nos moyens d'exécution dépendront de la tournure que prendront les choses ici.
Recevez mes salutations dévouées.
Lucien Labosse
Le Bebride que nous recevons ici par "Duchess" est très mauvais, très menu et de mauvaise apparence. Le "Jenny" de Grimsby est au contraire superbe. Envoyez-nous donc autant que possible du Grimsby, surtout avec une différence de 2/- à 2/6 sur le fret de Newcastle.