1854.00.De (Frédéric Mallet).Rapport (non daté, sans émetteur ni destinataire).Original
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Datation : vers le 22 juillet 1854
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Résumé de mes impressions relativement aux screw-colliers au point de vue du Havre
Cette opération doit être envisagée sous les points de vue suivants :
1. A combien revient le transport du charbon par un screw-collier ?
2. Ajouter les frais résultant pour nous au Havre de l'emploi d'un screw-collier.
3. Où construit-on bien et au meilleur marché ?
4. Faut-il faire construire en France ou en Angleterre ?
5. Considérer la question de la possibilité d'un prompt chargement en Angleterre.
6. Avenir des screw-colliers, réflexions sur les difficultés qui peuvent surgir dans l'avenir, construction en général.
7. Avantages d'un screw-collier au point de vue de la certitude d'un arrivage en temps nécessaire et influence par rapport aux frets des navires à voile que nous aurions encore à affréter.
1ère observation. A combien revient le transport du charbon par un screw-collier ?
1. Équipage. 1 capitaine, 1 second, 1 second mate, 6 matelots, 1 cuisinier, 1 premier ingénieur, 1 second ingénieur, 2 chauffeurs et 1 trimeur ; en tout 15 hommes qui aujourd'hui reviennent à environ (calculant sur 15 jours pour chaque voyage) à 1.325 F
2. Assurance 8% (il est probable qu'on ferait un peu au-dessous) ; intérêts 6%, ensemble 14% sur 26.000 F, pour un an 36.400 F, soit pour 15 jours : 1.510 F
3. Chardon 60 tonneaux pour aller et retour en commune (Newcastle et Cardiff) à 12 F : 720 F
4. Dépérissement 5% sur 26.000 F pour un an 13.000 F, soit pour 15 jours : 540 F
5. Petites réparations 6.000 F par an, soit pour 15 jours : 250 F
6. Suif, étoupes, etc., 3.000 F par an, soit pour 15 jours :125 F
7. Frais à Cardiff : 1.125 F
8. Frais au Havre : 900 F
Pour Cardiff : 6.495 F
Les frais à Newcastle étant d'environ 675 F moins considérables, les frais pour le voyage de Newcastle serait de : 5.820 F
Récapitulation
Un screw-collier se rend portant 700 tonneaux de Cardiff à 9,30 F du tonneau, cela ferait : 6.510 F
Un screw-collier se rend portant 700 tonneaux de Newcastle à 8,30 F du tonneau (soit un peu moins de 7 Livres sterling) : 5.810 F
(Il convient ici de remarquer que sur les frais de Cardiff, nous avons 2% d'escompte, ce qui diminue le fret de 20 centimes par tonneau et 3% de Newcastle, ce qui diminue le fret de 25 centimes par tonneau. Comparativement aux prix ci-dessus qui sont nets et sans escompte.) Voilà le prix de revient que je trouve pour un voyage de 15 jours suivant les données que je possède.
Maintenant, envisageant le prix de revient sous un autre point de vue et suivant des données fournies par M. Scott Russel, constructeur à Londres et intéressé pour un quart dans les screw-colliers construits par lui, je trouve le prix suivant :
1 . M. Russel estime à 170 Livres sterling tous les 15 jours les frais d'un screw-collier naviguant entre Newcastle ou Sunderland et Londres, ce qui fait : 4.250 F
Il convient d'ajouter l'intérêt et l'amortissement non compris dans ce chiffre.
2. Intérêts 6%, amortissement 5%, ensemble 11%, soit sur 26.000 F, pour un an 28.600 FF, soit pour 15 jours : 1.200 F
3. Plus la différence dans les frais de port à Newcastle pour le Havre et au Havre comparativement à Londres, soit environ : 1.050 F : 6.500 F
Soit pour 700 tonnes 9,30 F ou 7,15 Livres le keel net. Pour Cardiff, il faut ajouter à 6.500 F environ 640 F pour frais en plus à Cardiff qu'à Newcastle, ensemble : 7.140 F
Soit 10,20 F par tonneau.
Si maintenant, on faisait trois voyages dans le mois au lieu de deux, on économiserait sur le troisième voyage les gages d'équipage, l'intérêt, l'assurance et l'amortissement, soit 3.380 F
Ce troisième voyage reviendrait donc à 4,80 F meilleur marché, ce qui réparti sur trois voyages par mois ferait 1.60 F et réduirait par conséquent le voyage de Newcastle à 7,70 F et celui de Cardiff à 8,60 F sur les prix donnés par M. S. Russel comme prix de revient.
Il est bon de remarquer ici que pendant les années où le fret était bas, les gages d'équipage et les frais de nourriture étaient moins élevés qu'à présent et que par conséquent, si le fret des navires à voile venait à baisser, par suite du même fait, notre prix de revient serait également meilleur marché, sans être cependant à beaucoup près dans la même proportion, la réduction ne pouvant porter que sur les 1.325 F (pour l'équipage) tous les 15 jours. On peut, je pense, l'estimer à 50 centimes par tonneau au moins en semblable occurrence.
2ème observation. Ajouter les frais résultant pour nous au Havre de l'emploi d'un screw-collier.
Pour cette question, il me faut poser des chiffres nécessaires actuellement et que je justifierai plus tard, cette question se trouvant liée à d'autres venant après.
Devant débarquer 700 tonneaux en deux ou trois jours, j'estime que comparativement aux navires à voile dont nous expédions directement au loin les chargements, il résultera pour nous :
1. Environ une perte de 1 F par tonneau pour mettre en chantier et relever ensuite.
2. Un déchet d'environ 1,50 F par tonneau tant par suite du déchet produit par une manutention que nous évitons maintenant que par suite de la réception d'un charbon plus friable que celui que nous recevons actuellement.
Ensemble 2,50 F par tonneau.
Ces chiffres sont pour le charbon gros à vapeur de Newcastle.
Au point de vue de Cardiff il faut ajouter :
1. 6 pences d'augmentation sur le prix courant soit 0,60 F
2. Perte de ne rien transborder ou transbordant moitié à un franc d'économie,
cela fait 50 centimes sur le tout 0,50 F
Augmentation ensemble pour Cardiff 1,10 F
Récapitulation
Maintenant et laissant de côté le prix de revient que je trouve basé sur des calculs que je crois exacts, soit 9,30 F de Cardiff et 8,30 F de Newcastle, et, prenant pour base les données de M. S. Russel qui sont encore plus élevés, calculant également sur un voyage seulement tous les 15 jours, je trouve les prix de revient suivants comparativement pour nous recevant nos charbons par navires à voile.
Newcastle
9,35 F fret
2,50 F main-d'uvre et déchets
0,25 F escompte sur nos chartes-parties
12,05 F par tonneau ou 10 £ par keel
Cardiff
10,20 F fret
0,60 F surprix
0,50 F main-d'uvre
0,20 F escompte
11,50 F par tonneau
Voilà les prix de revient que je considère comme maximum, je dirais même exagérés.
Si, maintenant on calcule pour des temps où les frets pourraient être très bas par suite de peu de demandes et calculant sur trois voyages au moins, on peut arriver aux réductions suivantes pour Cardiff, par exemple :
1. Pas de prix extra, la demande n'allant pas, les mineurs heureux de nous fournir au prix courant, nous chargeant de suite, réduction 60 centimes.
2. Équipage et vivres à bon marché, réduction 50 centimes.
3. Économie sur les frais du troisième voyage reportés sur trois voyages, réduction 1,60 F.
4. Différence de prix de revient suivant mes calculs au lieu de ceux de M. Russel, réduction 90 centimes.
Ensemble réduction de 3,60 F, ce qui pour Cardiff ferait 7, 90 F au lieu de 11,50 F.
En reprenant tout au plus bas.
Pour Newcastle au lieu de 3,60 F de différence, cela ferait 3,50 F (la différence entre les prix suivant mes calculs et ceux de M. Russel étant de 1 F pour Newcastle au lieu de 90 centimes pour Cardiff, et d'un autre côté, supprimant les six pence de surprix.)
A ces 3,10 F, il conviendrait d'ajouter environ 1 F par tonneau si nous pouvions arriver à charger de suite à Newcastle nos charbons habituels au lieu de Ravensworth comme question de déchet, ensemble 4,10 F à déduire de 12,05 F, il reste 7,95 F ou 6.12.6. £. En prenant tout également au plus bas.
Récapitulations
Newcastle
au plus haut 12,05 F ou 10 £
au plus bas 7,95 F ou 6.12.6. £
Cardiff
au plus haut 11,50 F
au plus bas 7,90 F
Comme opinion sur le résultat des hélices et sur les bénéfices qu'on peut en espérer, je citerai trois opinions compétentes.
1. Celle de M. S. Russel qui résume la question en ces termes : un hélice coûte deux fois autant qu'un bateau à voile et fait trois fois autant d'ouvrage.
2. Celle de M. Begby qui prétend que les deux années avant celle-ci, lorsque les frets de Newcastle à Londres étaient de 5 à 5 schillings 6 pence, un screw-collier dans de bonnes conditions pouvait naviguer à 4 schillings, vu le bon marché de toutes choses, qu'aujourd'hui le fret par screw-collier revient à 5 schillings 6 pence et qu'à 8 schillings de fret pour Londres il y a 2 schillings 6 pence à gagner par tonneau.
3. Celle de M. Palmer qui m'a dit que le "John-Bowes" lui rapportait 2.400 livres sterling par an, ce bateau ne porte que 500 tonneaux et a été construit dans des conditions pas favorables comparativement à ceux qu'on fait aujourd'hui.
3ème observation. Où construit-on bien et au meilleur marché ?
J'ai visité quatre chantiers de construction :
1. M. Scott Russel, à Londres.
2. M. Palmer, à Newcastle.
3. M. Hoby, à Glasgow.
4. M. Samuelson, à Hull.
1. M. Russel a construit 6 ou 7 screw-colliers et en construit d'autres. Ils ont tous réussi jusqu'à présent et naviguent très bien, j'en ai vu deux, la "Caroline" allant de Sunderland à Londres, le "Bordeaux", de Cardiff à Bordeaux, mettant 2 jours à charger, ces navires mettent le premier 8 jours de Sunderland à Londres et retour, chargement et déchargement compris. Le second 13 jours de Cardiff à Bordeaux, chargement et déchargement compris. La "Caroline" a même fait le voyage de Londres en 7 jours. Les screw-colliers de M. Russel portent 625 tonneaux en été et 600 tonneaux en hiver. Ils passent pour très solidement construits quoiqu'il emploie cependant peut-être moins de fer que les constructeurs du Nord.
Il offre si cela convient de conserver 1/4 d'intérêt dont les screw-colliers qu'il construirait pour nous. Il demande quatre mois pour en construire. Son prix et de 13.000 Livres sterling y compris une petite machine pour débarquer estimée à 500 Livres sterling. J'ai trouvé un peu trop restreint l'emplacement des cabines et surtout de la machine qu'il est important de pouvoir nettoyer facilement vu le nombre restreint de chauffeurs et le peu de temps qu'ils ont pour le faire.
2. M. Palmer à Newcastle a déjà construit environ 10 screw-colliers et en a plusieurs sur les chantiers. Ses screw-colliers portent 700 tonneaux et, en outre, un vide (les 700 tonneaux à bord) d'environ 250 tonneaux, principalement à l'avant, afin que le navire ait l'avant plus haut que l'arrière. Son prix et de 9.500 Livres sterling sans machine pour débarquer. Les plaques de tôle qu'il emploie sont plus larges que celles employées à Londres, Hull et Glasgow, ce qui nécessite moins de rivets et de main-d'uvre, d'un autre côté, on m'a dit que le prix des grandes plaques était un peu plus élevé que celui des plus petites. Mon impression personnelle, c'est que M. Palmer construit plus légèrement qu'on ne le fait ailleurs et dans mon voyage c'est opinions que j'ai vu souvent émise. M. Palmer livrerait un hélice en janvier et l'autre en février. Je dis que les hélices de M. Palmer ne sont pas construits comme je le désirerais, en ce sens que la coque n'est pas faite double mais que les côtes sont simples au lieu d'être doubles et côte à côte, de plus l'écartement des côtes n'est 15 pieds de centre à centre que sur une longueur de 100 pieds au milieu du navire et de 20 pieds pour les 30 derniers pieds à l'avant et les 30 derniers pieds à l'arrière tandis qu'à Hull on ne mettrait que 15 pieds d'écartement entre les côtes partout le navire et que les côtes seraient doubles partout.
M. Palmer construit 12 hélices (majeure partie déjà livrée) pour la Compagnie des screw-colliers. J'en ai vu un sur les chantiers refusé par la Compagnie pour quelques plaques de tôle trop faibles.
3. M. Hoby à Glasgow demande plus de 15.000 Livres sterling y compris la machine à débarquer. J'ai vu également M. Robert Napier qui m'a parlé de 15.000 Livres sterling au maximum. À Glasgow, on construit énormément de navires à hélices, en fer principalement pour passagers et marchandises ordinaires. On n'a pas encore construit à Glasgow de screw-colliers mais j'ai vu sur les chantiers de M. Hoby un iron-screw pour transporter du fer, ce qui sauf la grandeur du navire se rapproche beaucoup des screw-colliers.
Je crois que M. Hoby construirait de solides screw-colliers mais son prix est exagéré pour plusieurs causes sans doute : à Glasgow, on ne fait pas beaucoup de plaques de tôle pour navires, on en importe même des environs de Newcastle, la main-d'uvre est peut-être plus chère en ce moment ; ayant beaucoup d'ordres, les constructeurs sont plus exagérants.
4. MM. Samuelson & Cie à Hull. C'est là où je suis allé en dernier lieu. J'ai trouvé des jeunes gens établis depuis quelques années seulement, actifs, intelligents et désireux de construire quelques screw-colliers afin d'obtenir de nouveaux ordres d'ailleurs vu l'avenir qu'ils pensent réservé aux screw-colliers. Sachant que j'avais été un peu partout et que j'étais bien renseigné, après avoir demandé et 11.000 Livres sterling, ils m'ont laissé un screw-collier à 10.500. J'ai de plus obtenu que dans le cas où on leur en demanderait deux à la fois, ils feraient une réduction de 200 Livres sur chacun. Les navires seraient construits aussi solidement qu'on pourrait le désirer, double frame partout, écartement du centre au centre 15 pieds partout. À Londres, Newcastle, Glasgow, l'épaisseur des plaques est la 9/16 de pouce au plus épais dans le haut et le bas et 6/16 de pouce minimum dans les côtés. À Hull, le haut aurait jusqu'à 10/16 de pouce d'épaisseur (pouces anglais).
Force nominale de la machine : 70 chevaux de force dans les quatre villes. Force réelle près de 300 chevaux.
Il faudrait suivant le temps de 50 à 60 heures de Newcastle ou Cardiff pour venir au Havre.
J'ai vu sur les chantiers de M. Samuelson, deux navires en fer, dont un prêt à être lancé devant porter 8 à 900 tonneaux, plus des cabines pour passagers pour faire le service entre Hull et Hambourg, ce navire portera à chaque voyage 4 ou 500 tonneaux de fer outre des marchandises légères.
M. Samuelson m'a dit qu'un screw-collier construit par lui ne tirerait chargé que 9 pieds d'eau et sur lest 7 pieds tandis qu'à Londres, Newcastle et Glasgow, le tirant d'eau varie de 14 à 15 pieds.
Je considère cela comme un grand avantage, pouvant offrir de grandes ressources pour certains points dans certaines circonstances, et ensuite réduction de frais à chaque voyage en Angleterre, bien des droits étant établis suivant le tirant d'eau.
Le navire ci-dessus pour Hambourg ne doit également tirer que 9 pieds.
Les screw-colliers de MM. Samuelson porteraient 700 tonneaux ; ils pourraient en construire un pour janvier et l'autre pour février. J'ai eu d'excellents renseignements sur MM. Samuelson de différents côtés comme constructeurs habiles dans tout ce qu'ils ont fait jusqu'à présent et comme hommes consciencieux. Ils sont jeunes, ont le désir de parvenir et je crois qu'on peut attendre d'eux un bon travail.
Dans le prix qu'ils m'ont fait, il n'est pas question de machine pour débarquer, c'est une question qu'on pourra résoudre en temps utile, les opinions variant à cet égard.
Résumé de mon opinion sur les quatre constructeurs que j'ai vus.
1. M. Scott Russel, certitude d'avoir un bon navire mais prix trop élevé.
2. M. Palmer, prix très avantageux mais demi-confiance dans un bon et solide travail de sa part.
3. Hoby, prix inabordable.
4. Samuelson, bonne marchandise et prix raisonnable. Mon opinion était en faveur de Samuelson mais une chose me tourmentait : comment expliquer la différence de prix entre lui et Scott Russel ? J'ai fini par savoir à Londres que M. Russel, grand constructeur et habitué à faire de beaux bénéfices, pourrait gagner 3.000 Livres sterling sur le prix de 13.000 Livres sterling, en déduisant de 10.000 livres sterling 500 Livres pour la petite machine à débarquer comprise dans son prix et non dans celui de M. Samuelson. Je suis arrivé à 9.500 livres prix de revient. Or, M. Samuelson demande 10 500 livres. Je trouvais que ce dernier pouvait me faire un aussi bon screw-collier que M. S. Russel et gagner encore 1.000 Livres sterling. Il est vrai que son bateau serait un peu plus grand que celui de Russel, mais aussi le fer est un peu meilleur marché a Hull qu'à Londres, la main-d'uvre aussi, les frais généraux également.
En conséquence je me suis arrêté à Samuelson. À Londres on m'a dit qu'à ce prix, je ferais une très bonne affaire et que, si mon navire était prêt en ce moment, on se faisait fort de mal acheter 12.000 Livres sterling.
4ème observation. Faut-il faire construire en France ou en Angleterre ?
À mon avis, il n'y a pas à hésiter, ce genre de constructions n'est pas connu encore en France. Or, il faut bien se garder de servir d'essai à un constructeur. De plus, il y aurait une très grande différence dans le prix de revient. M. Mazeline nous ayant parlé de 300.000 F pour un navire ne portant que 500 tonneaux et ce prix serait probablement dépassé, cette estimation n'étant approximative.
Je ne crois pas non plus que M. Mazeline ait entendu construire aussi fortement que M. Samuelson le ferait.
Reste la question suivante : un bateau français pourrait à l'occasion profiter de certains frets avantageux d'un point du littoral à l'autre, avantages dont on ne pourrait profiter avec un bateau anglais. Ne contestant pas ce fait, je dis que d'un autre côté avec un bateau anglais, nous aurons également les deux ressources suivantes :
1. Facilité de pouvoir à l'occasion l'affréter de Newcastle à Londres ou de Cardiff à Liverpool au Southampton lorsque nous trouverions un beau fret (circonstance qui se trouvera plus souvent en Angleterre qu'en France) ou lorsque n'en ayant pas l'emploi au Havre pour quelques voyages momentanément, nous serons bien aises de l'utiliser ailleurs.
2. Dans le cas où nous vous voudrions le vendre pour une raison ou pour une autre, le navire étant anglais, nous trouverons à le faire beaucoup plus avantageusement en Angleterre qu'en France.
Quant à la question que le navire étant français, nous pourrions-nous passer de courtiers au Havre, je crois que nous pourrions trouver un capitaine de Jersey ou de Guernesey parlant français et que nous pourrions ainsi, nous passer également de courtier.
5ème observation. Considérer la question de la possibilité d'un prompt chargement en Angleterre.
C'est là le difficile de la question. Les points où nous chargeons sont Blyth, Sunderland, Newcastle et Cardiff.
1. Blyth. Ce port n'est pas assez creusé, ne présente pas assez d'eau et offre de très grands dangers à cause de la barre qui existe, pour risquer un navire d'aussi grande valeur, d'autant plus qu'il arrive souvent, lorsque la mer est mauvaise, que les navires ne peuvent sortir pendant des semaines entières. On s'occupe de construire des docks, mais dans tous les cas, ils ne pourront être construits avant 3 ou 4 ans alors un screw-collier pourrait y charger avec sécurité et y charger promptement mais d'ici là, il n'y faut pas songer.
2. Sunderland. Si on pouvait s'engager pour une quantité un peu importante, M. Todd s'engagerait à charger un hélice en deux jours en Lambton. De même, M. Johnasson pour le South Pearset probablement la mine de Washington (ces deux charbons servent pour le gaz dont notre consommation est nécessairement restreinte). Ces Messieurs s'engageraient également pour une certaine quantité à charger un hélice en deux jours, mais M. Johnasson parle de 6 pence par tonneau comme prix extra pour indemnité d'un chargement aussi prompt. Nous pourrions au Havre faire 5 à 6 voyages par an à Sunderland pour y prendre du charbon à gaz. Quant au Lambton, la consommation en est très restreinte ici, mais il est probable qu'offrant un fret un peu réduit, nous pourrions également y trouver le débouché de 3 à 4 chargements de Lambton par an, si ce n'est d'avantage, ce qui est bien possible et même probable.
3. Newcastle. Il existe malheureusement là un acte du parlement qui défend à un propriétaire de mines de charger un navire avant son tour d'inscription sur le livre de la mine et on ne peut se faire inscrire qu'autant que le navire est là.
Il existe une pénalité contre le mineur de 300 livres que chaque capitaine lésé dans ses intérêts comme tour peut réclamer du propriétaire. Il n'y aurait qu'un moyen de tourner la difficulté, ce serait d'avoir un spout spécial où les screw-colliers chargeraient seuls et où on n'inscrirait pas de navires à voile, mais, loin d'avoir trop de spouts à Newcastle, on se plaint de ne pas en avoir assez, de plus il faudrait qu'une mine eut au moins deux puits pour pouvoir en quelque sorte dire qu'elle consacre à des screw-colliers tout ce qu'elle extrait de l'un deux et ne s'engage à charger les navires à voile inscrits sur son livre d'inscription qu'avec le produit de l'autre. Or, Davidson et Longridge n'ont qu'un puits, ils parlent, il est vrai, d'en construire un second, surtout Davidson mais ce dernier ne le sera pas avant le milieu de l'année prochaine, d'ici là il n'y a rien à faire avec eux. M. Carr pourrait sans doute le faire mais seulement en chargeant au spout de Seaton Huice, mais d'après les renseignements que j'ai pris, ce spout serait beaucoup trop dangereux et trop incommode pour y risquer un screw-collier. Reste M. Palmer, propriétaire de la mine de Ravensworth, qui lui s'engagerait à charger un screw-collier en deux ou trois jours, mais, comme il produit seulement 12 keels par jour, il faudrait sans doute s'engager à lui en prendre une certaine quantité, soit pour lui permettre d'augmenter sa production, soit pour qu'il ne prenne qu'un nombre restreint de navires à voile sur son tour. Il possède également à Newcastle une mine de charbon à gaz le "Ravensworth Pelow", qu'il s'engagerait aussi à charger en trois jours maximum. Comme qualité le Ravensworth est bon, mais c'est un charbon beaucoup plus friable et moins gros que le Davidson et le Longridge et c'est pour cela qu'en établissant le compte de revient du fret pour screw-collier chargeant du gros charbon à Newcastle, j'ai mis 1,50 F pour déchet résultant : 1. d'une manutention (par suite de la mise en magasin) évitée aujourd'hui et 2. pour déchet résultant de la réception d'un charbon plus friable que celui que nous recevons aujourd'hui.
Newcastle est le seul port où il existe un acte du parlement défendant de charger un navire avant son tour.
En général, j'ai senti qu'à Newcastle, on n'était pas très désireux de trouver le moyen de tourner la difficulté, ce qui serait peut-être possible, par cette raison qu'aujourd'hui chaque propriétaire a une clientèle plus ou moins nombreuse et dispersée et que, si un propriétaire vendait la majeure partie de sa production à un ou deux clients s'engageant de plus à charger immédiatement leurs navires, il en résulterait que sa clientèle actuelle ou mécontente d'un tour trop long ou ne pouvant obtenir alors tout le charbon qu'elle prend actuellement, il en résulterait que cette clientèle se disperserait chez les autres propriétaires et que, si un jour ou l'autre, par une cause quelconque, nous venions ou à vendre nos screw-colliers, ou à nous retirer des affaires, que notre vendeur aurait ensuite beaucoup de peine à se refaire une clientèle, c'est là un des obstacles parfois caché, parfois avoué.
Cardiff. J'ai vu MM. Nicson, Insole & Powell, tous les 3 disposés à nous charger en trois jours maximum. Powell, le mieux à même de le faire, sa production étant la plus forte, a été le seul à demander un prix extra ; il parlait d'abord d'un schilling, je l'ai fait descendre à six pence par tonne. Il est seulement à craindre que, malgré ma prière à cet égard, il ne parle d'un prix extra aux autres. Insole et Powell s'entendraient ensemble afin de nous charger ensemble, se partageant la fourniture chaque fois dans une proportion convenue ensemble et suivant que l'un ou l'autre serait plus ou moins pressé à l'arrivée d'un screw-collier à Cardiff ; à Cardiff, les choses se passent d'une manière assez arbitraire, lorsque le port est encombré les navires restent parfois longtemps sur rades et n'entrent pas toujours à leur tour dans le port, ceux qui peuvent montrer un certificat de propriétaire s'engageant à les charger promptement, entrent avant leur tour, du reste, il est d'usage à Cardiff, de laisser entrer de suite les bateaux à vapeur et on ne les fait pas rester sur rades comme les navires à voile.
Les trois mineures ci-dessus m'ont paru très disposés à nous charger promptement, ce qui m'a paru d'un augure favorable dans un moment surtout où la demande dépasse de beaucoup l'extraction, les navires restant 8 à 15 jours sur rades et mettant 2 à 3 semaines à charger, s'ils sont disposés à nous charger de suite, en ce moment, ils le feront encore mieux alors qu'il se présentera un ralentissement dans la demande. On construit un nouveau dock à Cardiff déjà fort avancé et qui donnera de grandes facilités pour le prompt chargement lorsqu'il sera complété. De plus, tous les mineurs en présence de la demande croissante depuis un an surtout, en augmentent beaucoup leurs moyens de production ; je dis donc que, si un ralentissement avait lieu, non seulement on serait disposé à nous charger promptement, mais encore on serait heureux de le faire aux prix courants, sans demander un prix extra.
6ème observation. Avenir des screw-colliers, réflexion sur les difficultés qui peuvent surgir dans l'avenir ; construction en général.
À cette heure, les principales constructions en screw-colliers se composent à ma connaissance de 6 à 7 construits par M. Russel, à Londres, un dixième construit par M. Palmer de Newcastle, plus quelques-uns construits ça et là. MM. Russel et Palmer en ont encore plusieurs à construire. Ces screw-colliers chargent quelques-uns à Cardiff, pour Southampton, Liverpool et Bordeaux ; quelques autres à Sunderland pour Londres, la majeure partie charge à Newcastle pour Londres aux mines de M. Palmer du charbon pour faire du coke. En général, on a en ce moment en Angleterre une très bonne idée de l'avenir des screw-colliers et on considère le bénéfice comme positif, seulement on ne tient pas assez compte des difficultés qui se présentent déjà parfois pour leur prompt chargement et de celles qui pourront surtout surgir dans l'avenir lorsque le nombre des screw-colliers aura considérablement augmenté, ce qui me semble presque inévitable. Pour justifier cette dernière opinion, je citerai les faits suivants à ma connaissance. La compagnie qui a deux screw-colliers de Cardiff à Bordeaux, a l'intention d'en faire construire encore 4 autres. Il est question d'une compagnie assez importante dont j'ai vu le prospectus chez MM. Russel, entre Cardiff et Southampton. De plus, au moment de mon départ de Londres, on m'a parlé d'une compagnie de screw-colliers, qui parlait de se monter pour exploiter la France. On m'a même conduit chez un des principes membres, à l'effet de m'entendre avec lui pour voir si nous ne pourrions pas nous arranger ensemble, c'est-à-dire avoir l'agence en France en prenant un intérêt dans la compagnie. Je ne l'ai pas rencontré mais notre ami commun lui a laissé un mot pour le prier de m'écrire s'il avait l'intention de donner suite à cette idée. Maintenant il y a probablement d'autres faits semblables dont je n'ai pas connaissance.
Ce qui précède suffit, ce me semble, pour justifier cette opinion que, dans un laps de temps rapproché, le nombre des screw-colliers aura considérablement augmenté. Revenant maintenant à ce que je disais plus haut qu'on ne tient pas assez compte des difficultés qui ne feront sans doute que croître, cela tient à ce que les marchés anglais offrent beaucoup plus de ressources que les nôtres pour la vente de toutes espèces de charbon et que vu le petit nombre de screw-colliers existant actuellement, on trouve la vente facile de certains charbons spéciaux, tels que les charbons à coke et à gaz, comme je l'ai expliqué précédemment, mais jusqu'à présent, on a presque pas chargé de charbon à vapeur tant à Newcastle qu'à Cardiff. J'ai vu le "Bordeaux" qui va de Cardiff à Bordeaux et qui, ce voyage, chargeait du charbon à coke, Powell m'ayant dit qu'il n'avait pas voulu le charger en 2 jours avec du charbon à vapeur. Je dis donc que, lorsque que le nombre des screw-colliers sera suffisant pour alimenter les fours à coke et les usines à gaz, il faudra bien que les autres screw-colliers se rejettent sur les charbons à vapeur et, alors, naîtront, ce me semble, de grandes difficultés pour un prompt chargement, ce à quoi on ne songe pas assez en ce moment, car, si les propriétaires consentent à charger les screw-colliers avant les navires à voile, les armateurs de ces derniers pétitionneront pour faire établir partout un acte semblable à celui de Newcastle, ce qui tournerait au préjudice des screw-colliers, d'un autre côté, il est également possible que, si, par suite des facilités refusées à Newcastle et trouvées dans d'autres ports, le commerce se trouvait en partie déplacé de Newcastle, il est possible que les propriétaires de cette ville dont les intérêts seraient en souffrance, pétitionnassent pour l'abolition de cet acte du parlement exceptionnel pour Newcastle, ce qui faciliterait le prompt chargement des screw-colliers à Newcastle.
Maintenant, il me semble que pour une grande compagnie ou pour plusieurs petites réunies ensemble, il y aurait partout un moyen de lever cette difficulté. Ce serait d'acheter une mine à Newcastle et une autre à Cardiff, suffisantes pour l'alimentation des screw-colliers employés par cette ou ces compagnies et où on ne chargerait que ces screw-colliers. Ceci n'est qu'une réflexion générale ne s'appliquant pas directement à nous mais dont l'exécution pourrait tourner contre nous.
J'ajouterai ici que, si on se décide à faire construire un ou des screw-colliers, il serait urgent de prendre ces mesures dès à présent afin de ne pas arriver parmi les derniers et de profiter à présent du bénéfice qu'un screw-collier peut donner, car il est possible que plus tard, le nombre des screw-colliers fasse baisser les prix actuels du fret ; parce que les constructions sont tellement importantes en Angleterre et les ordres arrivent avec une telle abondance que le moindre retard peut rejeter à plusieurs mois l'achèvement de notre commande.
J'ajouterai ici que, préoccupé de la pensée que dans un an le prix du fer ayant baissé et la main-d'uvre étant moins élevée, on pourrait construire bien meilleur marché qu'à présent, mais cette crainte n'est pas partagée en Angleterre, la cherté de la main-d'uvre provenant de l'émigration, il faudra de longues années ou une grande stagnation dans les affaires pour que la main-d'uvre soit meilleur marché. Quant au fer, les idées sont tout à fait tournées vers les constructions en fer et on ne prévoit pas de baisse avant au moins plusieurs années et dans tous les cas, la différence ne pourrait être très sensible sur le prix actuel d'un screw-collier.
Je me suis demandé aussi si les screw-colliers actuels remplissaient toutes les conditions voulues et si nous n'avions pas à craindre d'en voir construire de bien supérieurs dans un an ou deux, mais je me suis dit qu'aujourd'hui, les constructions en général étaient arrivées à une grande perfection et qu'un screw-collier étant d'une construction très simple ne pouvait offrir de grands dangers à cet égard.
Dans le prix demandé en Angleterre, tout est compris, chaloupes, chaînes, ancres, voiles, en un mot, prêt à prendre la mer.
Septième observation. Avantage d'un screw-collier au point de vue de la certitude d'un arrivage en temps nécessaire et influence par rapport aux frets des navires à voile que nous aurions encore à affréter.
1°. La première partie de cette question se résout d'elle-même. Nous trouverions dans la certitude d'un arrivage en temps utile, tranquillité d'esprit, régularité de notre service, certitude de pouvoir remplir tous nos engagements, stock moins important, pouvant diriger nos hélices sur Cardiff, Newcastle ou Sunderland, suivant nos besoins. Facilité de pouvoir faire des marchés fermes à un prix dont nous connaîtrons le résultat à l'avance. Augmentation dans nos ventes pouvant faire à l'occasion quelques concessions sur le prix.
2°. Recevant une partie de nos charbons par hélice, nous ne serions pas à la merci des capitaines dans des moments de presse ; nous pourrions profiter de bonnes occasions qui pourraient se présenter, naviguant sur Cardiff, lorsque le fret de Newcastle serait moins élevé et nous dirigeant une autre fois sur Newcastle lorsque ce serait l'inverse.
Il me semble donc qu'avec des hélices, nous y trouverions aussi un autre avantage par contrecoup, c'est-à-dire une commune de frets moins élevée pour les navires à voile dont nous aurons besoin en sus.
Ma conclusion sera courte.
D'un côté, je vois des avantages réels et de grandes chances de bénéfice. De plus, je vois notre position à consolider et à ne pas laisser entamer en laissant des étrangers prendre cette initiative, ce qui pourrait nous être très préjudiciable.
D'un autre côté, je vois des difficultés, des obstacles plus particuliers encore au Havre que pour d'autres points. Je vois certaines chances à courir qui ne laissent pas d'être sérieuses. En présence du pour et du contre, je me dis, il faut faire quelque chose, mais il ne faut pas s'enthousiasmer trop en cas d'une demi-réussite. Je conclus donc en disant : Construisons une hélice pour le Havre et que ce soit à Samuelson que nous en passions l'ordre. Comme je crois que, s'il y a de l'argent à gagner au Havre avec une hélice, il y a en a encore beaucoup plus à gagner à Rouen, si M. Grandchamp se décidait à en faire construire un, chaque maison y gagnerait 200 livres sterling passant les ordres ensemble.
Quant à monter l'affaire en commandite à l'égard de tiers, il me semble bien difficile pour les raisons que je vous ai déjà signalées de pouvoir concilier le tout avec nos intérêts de marchands de charbon.
Nota. Les screw-colliers se lestent et se délestent au moyen de boîtes en fer placées dans la cale du navire et qu'on emplit et désemplit à volonté.